Netanyahou, chef de la droite ethno-nationaliste israélienne, reçu par l’extrême gauche américaine

Original article: Far Left Center for American Progress Hosts Netanyahu, Leader of the Israeli Ethnonationalist Right

Article d’origine publié le 13 novembre 2015

Traduction: Blog Blanche Europe

Quand le Premier ministre israélien Netanyahou a visité les États-Unis au mois de mars, à l’invitation de John Boehner, président de la Chambre des représentants, le point à retenir est que le soutien à Israël devenait maintenant une question partisane, avec un solide soutien Républicain, et un soutien en baisse, du côté des Démocrates. Et en effet, il existe chez les Démocrates une scission entre la base du parti et la classe des donateurs financiers. Cette scission est similaire à ce qu’on observe chez les Républicains, mais les raisons sont différentes.

Au Parti démocrate, l’establishment et la classe des donateurs soutiennent fermement l’État juif et cherchent de nouveaux moyens d’augmenter l’aide militaire américaine à Israël suite à l’accord sur l’Iran. Mais les sondages récents montrent que chez les Démocrates ordinaires, le soutien à Israël a chuté de 10 points en un an. D’après un sondage Gallup publié cette année, moins de la moitié des Démocrates, 48 pour cent, disent avoir plus de sympathie pour les Israéliens que pour le Palestiniens dans le conflit du Moyen-Orient, tandis que 83 pour cent des Républicains sympathisent surtout avec Israël. (John Hudson, ForeignPolicy.com, “La visite de Netanyahou provoque une réaction interne hostile dans un grand think tank de Washington DC“). [NdT: think tank, “réservoir de pensée”, désigne un centre de recherche politique]

Chez les Blancs républicains, la base soutient davantage Israël (c’est dû au moins en partie à sa large composante chrétienne évangélique, qui se méprend gravement). Sur cette question, la base est donc plus en phase avec les donateurs. Mais tout le monde sait qu’elle est en décalage avec les donateurs sur les questions sociales —immigration, mariage homosexuel, avortement, etc. D’autre part, chez les Démocrates, la base est beaucoup moins favorable à Israël que les donateurs, mais elle est complètement en phase avec eux sur les questions sociales, car c’est une coalition qui rassemble la future majorité non-blanche.

Le point commun entre les deux partis est que dans chacun d’eux, une bonne partie des donateurs sont juifs, et ces Juifs fortunés suivent une stratégie propre à la diaspora juive qui consiste à prendre parti pour Israël et pour les positions de gauche sur les questions sociales.

Ainsi, lors de sa récente visite aux USA, en plus de relancer Obama pour obtenir une forte hausse de l’aide militaire américaine en échange du non-bombardement de l’Iran par les USA (au moins jusqu’au retour des Républicains), Netanyahou a été invité à donner un discours au Center for American Progress (CAP), un puissant groupe de pression de gauche. Et donc, Netanyahou, ce chef d’État voué à l’expulsion des migrants africains d’Israël et à une politique ethnonationaliste d’apartheid et de nettoyage ethnique des Palestiniens, s’est retrouvé à parler devant le CAP, qui se consacre à déposséder l’Amérique blanche par le biais de l’immigration et du multiculturalisme, au nom des droits universels de l’homme et de la solidarité avec les opprimés. Il y a bien eu quelques tensions, mais en fin de compte, le pouvoir du Lobby pro-israélien sur la gauche s’est trouvé réaffirmé aux États-Unis — et les gros bonnets du CAP ont peaufiné les qualifications et références qui leur serviront à briguer des postes de haut niveau dans une possible administration Hillary Clinton.

Les tensions étaient réelles entre les collaborateurs du CAP —après tout, tout le monde à gauche n’est pas spécialisé dans l’hypocrisie et le deux poids, deux mesures. Lors d’une réunion du personnel politique de l’association, une déclaration dissidente qui a reçu un large soutien évoquait les bombardements de 2014 sur Gaza, qui ont causé la mort de “plus de 2000 personnes, dont beaucoup d’enfants”. Cette déclaration dissidente évoquait aussi l’incongruité de soutenir les protestataires dans la ville de Ferguson [NdT: où un Noir avait été tué par la police], tout en fermant les yeux sur le traitement israélien de manifestations palestiniennes pacifiques. (Ali Gharib et Clifton, The Nation, “Rébellion au CAP“).

Le CAP se trouvait déjà depuis quelque temps sous la pression des néoconservateurs et de l’AIPAC (American Israel Political Affairs Committee), pour qui le recours à la censure et à l’intimidation est la procédure normale qui permet de contrôler le récit médiatique.

Les dissensions internes au CAP se produisent après la publication d’un rapport de Glenn Greenwald, sur le blog The Intercept, qui révélait le comportement du CAP, après une campagne de diffamation, en 2011 et 2012, contre plusieurs membres de cette organisation, y compris nous-même (Gharib était cité dans le rapport de Greenwald). Après s’être fait attaquer par des néoconservateurs et des groupes appartenant au Lobby pro-israélien pour des articles critiques envers Israël, [la présidente du CAP, Neera] Tanden a mis en œuvre une procédure de surveillance de notre production écrite. Cela comprend la mise hors limites de certains sujets, comme la critique de l’AIPAC, et dans au moins un cas, la censure de notre travail après publication. D’après The Intercept, le CAP a imposé ces mesures pour s’attirer les faveurs de personnalités et groupes pro-israéliens penchant à droite. (The Nation, lien précédent).

Il n’est donc pas surprenant que la décision d’inviter Netanyahou ait nécessité quelques acrobaties intellectuelles. Winnie Stachelberg, “vice-présidente exécutive du CAP pour les affaires extérieures”, a justifié cette décision en affirmant que Netanyahou serait soumis à un questionnement sans concessions. De plus,

elle a déclaré qu’en tant que groupe de réflexion, “nous croyons à l’ouverture et au débat avec ceux avec qui nous sommes en désaccord”.

“Si nous avions dit non” [à Netanyahou], a-t-elle ajouté, “il n’y aurait eu aucun forum public pour lui poser des questions difficiles, et très franchement, nous aurions été hypocrites”. Elle a fait remarquer que c’était d’ailleurs les Israéliens qui avaient fait le premier pas en direction du CAP, et que par le passé, le CAP s’était montré très critique envers le parti pris du Premier Ministre de ne traiter qu’avec la droite”. (John Hudson, ForeignPolicy.com, “La visite de Netanyahou provoque une réaction interne hostile dans un grand think tank de Washington DC“).

J’en conclus que le CAP va bientôt m’inviter pour discuter de la politique d’immigration et des intérêts ethniques des Blancs.

Il est très possible que les dirigeants du CAP soient motivés par la possibilité d’obtenir des postes élevés dans une nouvelle administration Clinton —encore un exemple de la façon dont les groupes de lobbying juifs sont en mesure de récompenser très concrètement, en favorisant leur carrière, ceux qui collaborent à leurs objectifs. Il suffit de leur vendre son âme. La révolution anti-blanche fait l’objet de mesures incitatrices massives.

La controverse qui a eu lieu au CAP a attiré l’attention en raison des liens étroits de cette organisation avec la famille Clinton. Le fondateur et premier président du CAP, John Podesta, était le chef du personnel du Président Bill Clinton et est l’actuel directeur de la campagne présidentielle de Hillary Clinton. L’actuelle présidente du CAP, Neera Tanden, a été directrice des politiques pour la campagne présidentielle de Hillary Clinton en 2008. Si Clinton réussit sa tentative de parvenir à la Maison Blanche, alors un certain nombre de collaborateurs du CAP sont bien placés pour obtenir des emplois en or dans la prochaine administration américaine. Dans le cadre de sa candidature à la Maison Blanche, Clinton, qui est favorite chez les démocrates, a subtilement cherché à convaincre les électeurs juifs qu’elle conviendrait mieux qu’Obama à Israël. Elle a exprimé cette idée dans un certain nombre de discussions à huis clos, devant de riches donateurs pro-israéliens, avec plus ou moins de succès. Parmi les activistes de gauche et les responsables de l’administration Obama, certains désapprouvent de telles ouvertures. (voir Hudson, lien ci-dessus)

Mais, en dehors de l’ambition personnelle des dirigeants du CAP, Philip Weiss blâme à juste titre le pouvoir de l’establishment juif aux États-Unis :

Le problème n’est pas dû à une conspiration de la part des donateurs. Même si, naturellement, les donateurs sont importants. Le problème vient de la forte influence du sionisme au sein de l’establishment américain. Il y a une conviction sincère parmi les Juifs influents comme Dana Milbank, Alan Dershowitz, et Matt Dorf, que la création d’Israël représentait le salut des Juifs au terme de leur histoire européenne tragique, et que les Juifs américains sont des alliés à part entière qui rendent possible ce salut des Juifs. C’est une façon de voir sincère et profondément ancrée chez de nombreux Juifs, politiciens, journalistes, donateurs, dirigeants de think tanks, dont beaucoup sont des libéraux [NdT: c-à-d des gens de gauche].

La visite de Netanyahou s’est très bien passée pour lui :

Hier a eu lieu une démonstration du pouvoir du Lobby pro-israélien au Parti démocrate. Le public devant lequel s’est exprimé Netanyahou avait été réuni par l’AIPAC (American Israel Political Affairs Committee). C’était un public bidon, les questions étaient bidon, chaque séquence du début à la fin avait été préparée à l’avance pour rendre Netanyahou présentable dans les cercles du Parti démocrate. Le public donnait l’impression d’avoir été drogué. [En fait, ils n’étaient là que sur invitation ; leur soutien à Netanyahou était garanti]. La réunion manquait d’animation, de réactions audibles, d’effervescence. On n’avait laissé entrer que des Juifs pro-Israéliens. Les seules questions du public provenaient de piliers du Lobby pro-israélien: Morton Halperin (de J Street), David Makovsky (de l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient), et Greg Rosenbaum (du National Jewish Democratic Council). La façon de chorégraphier ces trois questions, dont deux questions censément hostiles […], semblait tout droit sortie de l’histoire de l’Union Soviétique.

D’après Max Blumenthal, Tanden était simplement là pour se faire auditionner pour un travail dans la prochaine administration Clinton, et elle a réussi son coup. D’après Adam Horowitz, il ne faut pas s’étonner de la médiocre prestation de Tanden, vu qu’elle n’était pas dans son domaine d’expertise, mais elle s’est aplatie devant Netanyahou et il a savouré la situation. […] (James North et Philip Weiss, blog Mondoweiss, 11 nov.)

Nord et Weiss concluent, de manière un peu optimiste :

La journée d’hier illustrait aussi le déclin du Lobby pro-israélien. Voilà à quoi il en est rendu : des conversations arrangées pour une salle truquée, sans jamais sortir du Parti Démocrate. Pratiquement tout le monde dans cette salle était vieux, et pratiquement tout le monde était juif. Ce n’était pas la démocratie américaine qui s’affichait ; c’était les vestiges d’un système déjà disparu.

La présence d’un public entièrement juif lors d’une réunion montée par une organisation qui se consacre ouvertement à un projet arc-en-ciel pour l’Amérique nous rappelle qu’il s’agit seulement de défendre les intérêts ethniques particuliers des Juifs, et pas du tout les intérêts américains.

En fait, c’est un peu optimiste d’affirmer que cette réunion n’était qu’un “vestige d’un système déjà disparu”. Netanyahou s’est également exprimé chez les néoconservateurs de l’American Enterprise Institute. Dick Cheney et Richard Perle étaient présents parmi le public. Les néo-conservateurs restent “la force principale pour la politique étrangère du Parti Républicain”. Pour ce qui concerne les contributions financières, il est impossible, sauf pour les plus riches Républicains, d’envisager d’être candidat à la présidence à moins de recevoir le soutien de Sheldon Adelson et de la Coalition Juive Républicaine.

Dans aucun des deux partis, malgré les fossés qui séparent leurs bases et leurs donateurs financiers, le pouvoir juif n’est près de disparaître, car en fin de compte, les gros montants avancés par la classe des donateurs financiers sont essentiels au succès de n’importe quel parti politique, et on n’est pas près de voir se tarir les financements juifs politiquement motivés. Philip Weiss fait observer que “du côté des Démocrates, dans la haute sphère politique, à partir du niveau du Congrès, les Juifs représentent, d’après une estimation, entre la moitié et les deux tiers des contributions financières”, et c’est sûrement au moins aussi élevé pour les élections présidentielles. Du côté républicain, il est possible que ce soit un peu moins dans l’ensemble, mais c’est clair qu’on ne peut pas ignorer l’influence des milliardaires de la Coalition Juive Républicaine, et des 100 millions de dollars donnés au Parti Républicain par Sheldon Adelson en 2012.


Liberal_donors_2012

Extrait du site Vox – Les plus gros donateurs du Parti Démocrate

C’est Norman Podhoretz qui faisait remarquer que les Juifs financent la gauche en Amérique. Comme je l’ai noté à plusieurs reprises, le pouvoir financier des Juifs pourrait ne pas avoir d’importance, sauf que les Juifs utilisent très efficacement leur fortune pour promouvoir des politiques contraires aux intérêts de la majorité blanche traditionnelle, que ce soit sur la question d’Israël ou sur le programme social de la gauche (immigration, multiculturalisme). C’est vraiment difficile d’imaginer un candidat à la présidence qui puisse réussir sans le soutien des Juifs qui défendent Israël et qui défendent en même temps des positions libérales [NdT: c-à-d gauchistes] sur les questions sociales —en ce moment même, leurs candidats favoris sont Hillary Clinton et Marco Rubio. C’est difficile d’imaginer cela, sauf pour un candidat qui disposerait de sa propre trésorerie.

Et c’est un attrait majeur de Donald Trump.