Par Alexander Jacob; Traduction Francis Goumain
[FG: Julius Evola vaut la peine d’être connu pour son triptyque race – tradition – histoire, il s’est néanmoins fait retoquer par le Reich pour une question d’ordre de priorité: pour le Reich, c’est d’abord la race, puis la tradition puis, enfin, l’histoire; pour Evola, c’est d’abord la tradition, puis la race, et enfin l’histoire. Les deux s’accordent à penser que l’histoire est une dégénérescence de la race et de la tradition, les deux se heurtent au paradoxe problématique posé par l’histoire: le champ de bataille, c’est l’histoire, pour défendre la race et la tradition, il faut descendre dans l’arène de l’histoire, mais dès qu’on y descend, on court ipso facto le risque de la relativisation et de la destruction de la race et de la tradition. La position du Reich paraît néanmoins plus sûre, plus à même de supporter l’épreuve de l’histoire, parce que la race et l’histoire ne sont pas sur le même plan, l’une est sur le plan physique, l’autre sur le plan de l’intellectuel, du réversible. Par conséquent, si c’est la tradition qui est assise sur la race, elle a elle aussi une chance de sortir à peu près indemne d’une confrontation avec l’histoire, par contre, si c’est la race qui n’est qu’une expression phénoménologique de la tradition, alors, les deux, race et tradition, courent un grave danger de dissolution dans l’histoire.]
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Le livre d’Alexander Jacob sur Julius Evola vu par quatre intellectuels du Troisième Reich. Extrait de la notice d’Amazon:
Comment Julius Evola était-il perçu dans le Troisième Reich ? Ce livre présente les évaluations faites par quatre intellectuels de premier plan du régime : Walther Wüst, Joseph Otto Plassmann, Wolfram Sievers et Kurt Hancke. Traduit avec une introduction d’Alexander Jacob, cet ouvrage scientifique est une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse sérieusement à Evola ou à l’histoire de l’Allemagne nationale-socialiste.
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Julius Evola in the Third Reich
Alexander Jacob
Uthwita Press, 2023
Introduction à Julius Evola dans le Troisième Reich, Uthwita Press, 2023
Julius Evola (1898-1974) est aujourd’hui connu comme l’un des principaux représentants du mouvement que l’on a appelé le traditionalisme et l’auteur de plusieurs ouvrages importants sur l’hermétisme, le bouddhisme et le yoga. Cependant, dans les années trente, il a également publié des pamphlets sur des sujets qui avaient pris de l’importance depuis l’avènement du Troisième Reich, à savoir le mythe aryen et la question juive. Evola n’était pas fasciste et dans ses premières publications sur la politique, notamment l’Imperialismo pagano de 1928, il critiquait l’État fasciste italien comme une entité sans âme, incapable de s’élever au-dessus d’un populisme et d’un nationalisme étroit et de remonter aux sources transcendantes d’une société hiérarchique idéale. L’impérialisme païen qu’Evola admirait était celui de la Rome antique, ruiné, estimait-il, par la montée en puissance de l’Église qui était venu indûment concurrencer celle de l’État et qui avait finalement conduit à la séparation du politique et du religieux. Cependant, lorsqu’il a publié la traduction allemande de son ouvrage en 1933 (Heidnischer Imperialismus), il y a apporté des changements substantiels. Par exemple, le paganisme du monde méditerranéen de l’édition italienne se voyait remplacé par un paganisme aryen originaire d’une légendaire Thulé hyperboréenne. Alors qu’il avait montré peu de sympathie pour le fascisme italien, voilà qu’il manifestait désormais un intérêt singulier pour l’idéologie racialiste du national-socialisme.
Mussolini, pour sa part, avait initialement encouragé les dénonciations publiques de la doctrine raciale nazie et les deux principales contributions d’Evola à cette campagne sont apparues à la fin de 1933 et au début de 1934. Le premier article («Osservazioni critiche sul «razzismo» nazionalsocialista») [1] présente, comme le dit Staudenmaier [2], quelques “observations critiques” sur les composantes excessivement “naturalistes” de l’idéologie raciale nazie:
Evola y expose sa philosophie du racisme «spirituel» et l’oppose au racisme «matérialiste» qui prédominait au sein du national-socialisme. Le second article (Razza e Cultura) [3] applaudit certes à la renaissance de l’aryanisme» par le nazisme et à sa dichotomie entre «races supérieures et races inférieures», mais avertit que les théories purement biologiques ne sont pas assez aristocratiques et ne saisissent pas la véritable noblesse raciale. Evola insistait sur le fait que les formes vulgaires de racisme «matérialiste» n’étaient pas à la hauteur de la tâche consistant à affronter la «menace juive» dans toute sa profondeur et son ampleur, puisque la race n’était «pas simplement physique» [4].
Puis, en 1936, Evola écrit un pamphlet intitulé Tre aspetti del problema ebraico (Trois aspects du problème juif) qui trahit sa principale préoccupation dans toutes les discussions raciales, à savoir exonérer les Juifs des diverses accusations raciales, culturelles et économiques portées contre eux par les penseurs antisémites en Allemagne et au sein du régime national-socialiste. Selon Evola, les Juifs sont en effet coupables de divers crimes de subversion sociale et politique en Europe – cependant, ils ne sont pas la principale force de corruption, mais seulement une petite partie d’une plus grande force métaphysique du mal qui travaille contre le domaine originel pur de la Tradition.
Tout comme le philosémite Nietzsche [5], Evola estime que le culte juif était à l’origine viril et guerrier et que ce n’est qu’après les prophètes qu’il a dégénéré dans le messianisme d’une religion servile aboutissant au christianisme [6]. De même, il considère que la subversion juive de la culture des pays indo-européens n’est pas due à un quelconque plan des Juifs [7] mais fait partie d’un processus plus large de dégénérescence dans lequel le caractère racial des Juifs ne joue qu’un rôle accessoire, bien que non négligeable. Seul un sursaut spirituel sera en mesure d’empêcher le facteur juif de prospérer sur la décadence qui se manifeste dans les sociétés occidentales. Les voies populistes, les déportations massives, etc. sont des façons plébéiennes d’envisager un problème qui est d’essence métaphysique.
Le fait qu’Evola ait écrit ce pamphlet juste avant ses conférences allemandes sur la question aryenne et la fusion de l’idéologie nationale-socialiste avec le fascisme semblent suggérer que ses visites en Allemagne n’étaient pas fortuites mais pressées du désir impérieux de modérer l’antisémitisme du Reich en soulignant ses éventuelles lacunes métaphysiques.
En 1941, Evola publie un ouvrage exposant sa propre idéologie raciale, Sintesi di dottrina della razza, il s’y livre à une déconsidération en règle du racialisme biologique, accordant la primauté aux notions de race spirituelle et d’âmes raciales. Dans ses développements sur les races dégénérées, il n’isole pas spécifiquement les Juifs, mais parle plus généralement des «Sémites» – qu’il place aux côtés des Subsahariens – et qu’il décrit comme des types raciaux inférieurs. Evola conclut en concédant que les doctrines raciales du national-socialisme sont à la rigueur comme un fanal dans la nuit, faisant briller l’espoir de la recréation possible de la race supérieure originelle qui hantait jadis les sphères supérieures de la Tradition. Mais ce faisant, il renvoie les «vraies» sources de la perfection raciale dans un éther si manifestement éloigné du monde réel qu’on ne voit pas comment il pourrait venir sauver ce dernier de la corruption. Les espoirs de régénérescence d’Evola, fichés dans un hypothétique royaume de la Tradition, paraissent donc assez chimériques.
À la fin des années trente et au début des années quarante, Evola entreprend de fréquents voyages en Allemagne, où il effectue des tournées de conférences, rencontre des responsables de la SS et participe à des congrès. Le point d’orgues de ses visites se situant en 1934 avec le discours qu’il prononce au Herrenklub de Berlin, le cercle politique conservateur qui s’est formé autour du livre de Moeller van den Bruck Das dritte Reich (1923) [8]. Comme il l’a raconté plus tard dans son autobiographie, «c’est là que j’ai trouvé mon habitat naturel. Dès lors, une amitié cordiale et fructueuse s’établit entre moi et le président du club, le baron Heinrich von Gleichen… Ce fut aussi la base de certaines activités en Allemagne, fondées sur des intérêts et des objectifs communs» [9]. Les éditions allemandes de ses œuvres parues à cette époque comprennent Heidnischer Imperialismus (1933) et Erhebung wider die moderne Welt (1935).
En outre, comme nous l’indique Staudenmeier,
En 1937, il participe à une convention internationale antisémite à Erfurt et rédige un rapport pour les lecteurs italiens. Au printemps 1941, Evola se rend à Munich, Stuttgart, Francfort, Cologne et Berlin pour une tournée de conférences. En avril 1942, il donne des conférences sur la race à Hambourg et à Berlin, décrivant un héritage aryen commun qui lie les Italiens et les Allemands [10].
Tout dans la doctrine d’Evola se fonde sur la primauté de l’esprit, de sorte que la question raciale, elle aussi, ne peut être déterminée par référence à des réalités biologiques, mais plutôt à des réalités spirituelles. Il considère que la race elle-même est d’abord une condition spirituelle, puis une question d’identité ethnique (l’âme raciale de Clauß), et enfin un phénomène biologique individuel. L’effort pour recréer la race idéale primitive, caractéristique du domaine originel de la tradition, doit être entrepris, selon Evola, non par la discrimination biologique, mais par l’élévation spirituelle.
Evola se montre plutôt réservé sur une éventuelle influence intrinsèquement délétère des Juifs. S’il est vrai qu’il a rédigé la préface de la traduction des Protocoles par Giovanni Preziosi en 1921 et qu’il a approuvé avec enthousiasme la campagne antisémite de Codreanu dans son article de 1938 intitulé La tragedia della ‘Guardia di Ferro‘ [11], il ne peut se résoudre à l’idée que tout Juif soit biologiquement voué à être un matérialiste dégénéré, tout comme il ne peut accepter que tout Aryen soit automatiquement un être supérieur – comme il l’a déclaré dans sa conférence de 1937, reproduite dans la présente édition [12].
Répétons-le : la race est l’élément secondaire, l’esprit et la tradition sont l’élément primaire car, au sens métaphysique, la race – avant de s’exprimer dans le sang – est dans l’esprit. S’il est vrai que, sans pureté raciale, l’esprit et la tradition sont privés de leurs moyens d’expression les plus précieux, il est tout aussi vrai que la race pure privée d’esprit est condamnée à devenir un mécanisme biologique et à s’éteindre. La dégénérescence spirituelle, l’affaiblissement éthique et la mort lente de nombreuses tribus qui n’ont pourtant commis aucun des péchés de sang signalés par une certaine doctrine raciale matérialiste en sont la preuve, et nous pensons ici non seulement aux primitifs, mais aussi aux Suédois et aux Néerlandais. Il s’ensuit que, sans la revivification de la force spirituelle supérieure latente dans le caractère nordique, même toutes les mesures de protection raciale biologique n’auraient qu’un effet très relatif et limité par rapport à notre tâche supérieure de reconstruction de l’Occident.
S’agissant de l’énumération des tactiques de subversion employées par les ennemis de la Tradition, Evola critique de manière cinglante ceux qui, comme les nationaux-socialistes, manifestent une hostilité monomaniaque à l’égard des Juifs et des francs-maçons. Le SS Obersturmbannführer Hancke résumait ainsi Evola dans son rapport de juin 1938:
Le national-socialisme, par sa concentration monomaniaque sur les Juifs et les francs-maçons en vient à négliger ses véritables adversaires.
C’est peut-être dans ce genre de passage qu’Evola frôle le plus dangereusement une défense risquée du judaïsme et de la franc-maçonnerie.
Tandis qu’Evola ne cesse de prêcher aux Allemands l’union autour de la question de la civilisation nordico-aryenne et des inégalités raciales, il n’est pas sans provoquer chez lui, dans les milieux fascistes italiens, des ébats aussi intenses qu’hostiles. Comme le dit Staudenmaier, «ses longs séjours en Allemagne lui ont valu les appréciations les plus contradictoires. Certains le considèrent comme un fasciste peu fiable en raison de sa position fortement pro-allemande, tandis que d’autres le jugent excessivement critique à l’égard de la politique nazie au point d’en être désobligeant pour le partenaire de l’Axe» [13].
Les Allemands eux non plus ne voyaient pas Evola d’un très bon œil, le rapprochement au plan philosophique entre le national-socialisme et le fascisme n’avait d’ailleurs toujours pas abouti au moment de l’incorporation précipitée de l’Italie en 1943, et c’est de force que des mesures antisémites strictes semblables à celles qui avaient cours dans le Reich y ont été mises en place. Pendant cette période de la République sociale italienne, Evola reste principalement en contact avec Giovanni Preziosi, qui est comme lui un antisémite spirituel, et Roberto Farinacci, dont les lois raciales de 1938 ne reposaient pas non plus sur un racialisme biologique [14].
Dans les milieux officiels de la SS, les conférences d’Evola font l’objet d’un examen minutieux et d’une évaluation plus ou moins négative. Selon Goodrick-Clarke [15], dès le début de l’année 1938, les SS commencent à passer au crible ses idées et Karl Maria Wiligut (également connu sous le nom de Weisthor lorsqu’il a rejoint les SS en 1933) – le voyant qui est devenu le «gourou» spirituel d’Himmler – a été invité à commenter une conférence donnée par Evola à Berlin en décembre 1937. Trois autres conférences furent données par Evola en juin 1938 et Himmler renvoya à nouveau la question à Weisthor, en lui demandant de revoir le livre d’Evola sur l’impérialisme païen dans la perspective des traditions allemandes. Comme le raconte Goodrick-Clarke, Weisthor répondit que:
Evola partait du concept d’aryanité vu comme fondamental, mais ignorait tout des institutions germaniques préhistoriques et de leur signification. Il a également observé que ce défaut était représentatif des différences idéologiques entre l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie et qu’il pouvait en fin de compte porter préjudice à la permanence de leur alliance [16].
Sur la base du rapport de Wiligut et des rapports présentés dans cette édition, les SS ordonnaient que les activités d’Evola dans le Troisième Reich soient découragées.
Désormais, Evola se heurtait à l’opposition aussi bien des Allemands que des Italiens. Ainsi, comme le raconte Staudenmaier, lorsqu’Evola a proposé à Mussolini et à ses contacts allemands, en 1941, de fonder une revue bilingue sur les questions raciales, Werner Hüttig, le spécialiste des sciences raciales, «présentait en septembre 1942, une critique serrée des théories raciales d’Evola, en éreintant la façon dont Evola abordait les questions scientifiques avec un mélange hétéroclite de sources insolites allant de l’ancienne tradition aryenne à l’ésotérisme moderne» [17] En Italie également, les aspects occultes du racisme spirituel d’Evola ont été source de controverses. Des dénonciations anonymes envoyées à la direction fasciste mettaient en garde depuis des années contre «l’épidémie d’ésotérisme» qui frappait l’Italie. Dans une lettre adressée à Mussolini en mars 1942, Telesio Interlandi, le scientifique racialiste, s’insurge contre les perversions «occultistes» de l’idée raciste. Le prêtre jésuite Pietro Tacchi Venturi insiste lui aussi sur le fait que «le projet d’Evola entraînerait des problèmes avec l’Église, qui considère les questions spirituelles comme son domaine légitime et désapprouve les connotations païennes de l’approche d’Evola». [18]
Les critiques d’Evola, qui considère le christianisme comme une corruption sémite de l’ordre traditionnel, devaient fatalement se trouver en butte à l’opposition des ecclésiastiques. De même, les nationalistes allemands mettaient en garde contre la subversion pernicieuse du Reich que constituait la doctrine traditionaliste d’Evola, décourageant son intégration aux programmes idéologiques et politiques.
Fondamentalement, le système politique d’Evola est idéaliste et établit une dichotomie radicale entre la société «traditionnelle» et les sociétés historiques. La première est une condition idéale, tandis que les secondes ne sont que des déviations de plus en plus corrompues de la première qui culminent dans les horreurs de la modernité. La race qui se rapproche le plus du monde idéal de la tradition est, selon Evola, l’Aryenne. Bien qu’il ait d’abord célébré la culture méditerranéenne comme la plus élevée, en 1933, il modifiait considérablement son point de vue pour l’adapter à la montée du parti racialiste d’Hitler. À partir de là, Evola n’a eu de cesse de marier les deux concepts de suprématie nordique et romaine dans ses représentations de l’organisation sociale idéale telle qu’elle serait apparue au cours de l’histoire. Ainsi, l’Empire romain et l’Empire gibelin devenaient des modèles pour l’Occident moderne.
Les meilleurs moyens de comprendre et de faire revivre le monde originel de la tradition dans la vie moderne sont, selon Evola, les mythes et les symboles. C’est en eux que l’on reconnaît les modèles idéaux à suivre. D’où en particulier l’intérêt d’Evola pour le mythe du Graal, la quête du Saint Graal, au cœur de la légende, ne serait autre que la recherche de la restauration de l’Empire idéal des origines. Le penchant mythologique de la pensée d’Evola est évidemment d’une valeur pratique douteuse, aucune politique ne saurait se réguler en permanence par un recours aux mythes anciens, fût-ce à titre de symboles.
Champion de l’impérialisme spirituel, Evola s’est particulièrement opposé aux nationalismes tels que ceux mis en vigueur par les forces libérales en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, car il estime qu’ils entravent la réalisation d’une spiritualité universelle. Comme le souligne Hancke:
Pour E., l’idée de nation appartient, de par son origine récente au XVIIIe siècle, à l’idéologie moderne dont est issu notre monde dégénéré. Elle doit donc être dépassée dans le sens supranational, c’est-à-dire impérial, de telle sorte que la race aryenne d’origine germano-romaine ait la primauté.
Outre la dangereuse proximité de cette doctrine avec des projets universalistes tels que ceux de la théosophie et de la franc-maçonnerie, son caractère utopique n’a pas manqué d’être relevé par Hancke:
Ce qui le distingue particulièrement de la vision du monde national-socialiste, c’est sa négligence radicale des données historiques concrètes de notre passé racial au profit d’une utopie abstraite, spirituelle et fantaisiste.
Plassmann/Sievers, dans leur réponse aux conférences d’Evola reproduites dans cette édition, ont également précisé que:
Evola ne semble pas avoir conscience des forces politiques pragmatiques en jeu et il a donc pu facilement s’égarer de bonne foi dans des voies qui prétendaient servir l’idéologie raciale mais qui en fait se retournait contre elle(Othmar Spann) [19] ou n’avaient aucun dynamisme politique propre (Goga). [ 20] En général, lorsqu’on tente de mettre en pratique une telle idée [la fin des nations], il y a immédiatement le danger d’un idéal cosmopolite aux conséquences imprévisibles.
Outre le nationalisme, Evola dénonce également la tendance à la démagogie populiste qui s’est manifestée tant dans le fascisme italien que dans le national-socialisme. Evola propose au contraire un «Ordre» d’élite qui représenterait le monde de la Tradition et affirmerait son autorité innée sans tenir compte des masses. Comme le dit Hancke:
Après avoir rejeté l’idée du Volk, E. se fait aujourd’hui le défenseur d’une «communauté ethnique» qui, en tant que principe de réalisation spirituelle, va à l’encontre de toute collectivité. La véritable communauté, en revanche, est pour E. la caste des dirigeants, une élite de l’esprit, liée dans la lutte pour la Tradition contre le monde moderne.
Ces objections aux thèses politiques d’Evola ne signifient pas pour autant que le travail missionnaire d’Evola au nom du traditionalisme était totalement dépourvu de valeur intellectuelle. Sa notion de spiritualité universelle, qui ne serait pas l’apanage d’une seule religion, est un idéal qui a une certaine allure. Par exemple, dans sa conférence de décembre 1937, reproduite dans cette édition, il suggère ce qui suit:
Il est nécessaire de parvenir à une solidarité qui soit aussi forte dans son spiritualisme transnational que, par exemple, le communisme bolchevique l’est dans son matérialisme antinational. La première et indispensable condition préalable est toutefois la détermination d’une vision universelle du monde dont les principes et les valeurs devraient être valables en tant qu’axe uniforme, partagé et immuable pour tous ceux qui se déclarent contre les ennemis que nous avons dénoncés.
Cependant, il est clair qu’une politique aussi idéaliste étendue à l’échelle mondiale est frappée d’impraticabilité. Outre la difficulté de mettre en œuvre une telle spiritualité parmi les divers peuples du monde, l’acceptation d’une hégémonie spirituelle aryenne nordique sur le monde est également plus que douteuse. Pourtant, Evola précise dans sa conférence de 1937 que son aryanisme n’est pas limité par les différences biologiques:
La tradition nordique n’est pas une notion naturaliste, c’est-à-dire que même si elle ne doit être conçue que sur la base du sang et du sol, elle est avant tout comme une catégorie culturelle, comme une forme d’esprit primordiale et transcendante dont le type nordique, la race aryenne et l’éthos indo-germanique général ne sont que des formes phénoménales externes. L’idée de race elle-même est, selon sa signification supérieure, liée à la tradition, quelque chose qui ne peut pas et ne doit pas avoir de rapport avec les idées rationalistes de la biologie moderne et de la science ordinaire. La race est avant tout une attitude fondamentale, un pouvoir spirituel, quelque chose de formateur d’une manière primordiale, dont les formes extérieures, positivement tangibles, ne sont qu’un dernier écho.
[FG: Passage peu clair parce que Julius Evola fait mine d’apporter une précision alors qu’il continue de tourner autour du pot – le politiquement correct, déjà. Quelle est donc cette notion d’aryanité, à la fois totalement idéale, immatérielle, et qui pourtant passe obligatoirement par la biologie du sang aryen? Réponse: la beauté.
Exemples féminins: Estella Blain, Eva Bartok, Anna Karina, Mylène Demongeot, Claudine Auger, Bulle Ogier, Claude Jade, Caroline Cellier, Stéphane Audran, Marie Dubois, Laure Deschanel, Brigitte Fossey, Françoise Dorléac, Catherine Deneuve, Mireille Darc, Françoise Brion, Marie-Christine Descouard, Nathalie Delon, Catherine Alric, Anne Canovas, Olga George Picot, Irina Demick, Martine Sarcey, Danièle Delorme, Dyan Canon,
Angie Dickinson, Lee Remick, Anne Margret, Faye Dunaway, Erin Gray, Samantha Eggar, Catherine Spaak, Senta Berger, Tisa Farrow, Nadine Nabokov, Marisa Mell, Jane Fonda, Bibi Anderson, la Maman de Boule, la nièce de Bourdon, la femme d’Agecononix, Eva Germeau …
Exemples masculins: Louis Jourdan, Serge Marquand, Claude Titre, Claude Rich, Alain Delon, Bernard Giraudeau, Marc Porel, Ric Hochet, Lefranc, Alix …]
Avec une définition aussi relâchée de l’aryanisme nordique, le christianisme peut lui aussi être régénéré s’il est réorienté vers la spiritualité originelle du domaine de la tradition «nordique hyperboréenne»:
Il est possible d’intervenir de manière créative contre le christianisme si l’on a accompli les tâches déjà mentionnées, c’est-à-dire si l’on a élevé l’idée nordique et l’idée du Reich à un niveau de vraie spiritualité universelle et solaire, alors nous aurions vraiment quelque chose de plus authentique que le christianisme, englobant l’héroïque et le sacral, le mondain et l’autre, le royal et le spirituel, c’est-à-dire quelque chose qui mène de manière décisive au-delà de toute vision du monde qui n’est que religieusement chrétienne. Notre principe devrait d’ailleurs toujours être de ne pas rejeter, mais de dépasser. Même en ce qui concerne la question catholique et païenne, la tâche de la nouvelle élite devrait consister à fixer les grands principes de la vision générale du monde issue de l’esprit nordique à un niveau pleinement métaphysique et objectif, donc «supra-religieux». Ces principes seraient alors en mesure d’extraire, de clarifier et d’intensifier ce qui est valable dans la tradition chrétienne elle-même.
La société idéale d’Evola est une société héroïque fondée sur ce qu’il appelle le caractère solaire et viril de la tradition «aryenne nordique», qui s’oppose à la qualité lunaire et féminine de la tradition «sémite»:
Deux attitudes fondamentales sont possibles face à la réalité supra-naturelle. L’une est solaire, virile, affirmative, correspondant à l’idéal du pouvoir royal sacré et de la chevalerie. L’autre est l’attitude lunaire, féminine, religieuse, passive, correspondant à l’idéal sacerdotal. Si la seconde attitude est surtout caractéristique des cultures méridionales sémitiques, le chevalier nordique et indo-germanique, en revanche, a toujours été solaire; l’asservissement de la création et le pathos de son altérité fondamentale du Tout-Puissant lui étaient totalement inconnus. Il sentait que les dieux étaient comme lui, il se considérait d’une race céleste et du même sang qu’eux. De là naît une conception de l’héroïque qui ne s’épuise pas dans le physique, le militaire, voire le tragico-chorégraphique, et une conception de l’homme supérieur qui n’a rien à voir avec la caricature nietzschéenne-darwiniste de la belle bête blonde, car cet homme supérieur nordique présente à la fois des traits ascétiques, sacrés et supra-naturels et culmine dans le type du souverain olympien, de l’Aryen Chakravarti comme commandant des deux pouvoirs et roi des rois.
Cette classification des Aryens comme étant solaires et des Sémites comme étant lunaires est toutefois vague et ne repose pas sur une réalité historique, puisque les Akkadiens sémites orientaux vénéraient le dieu soleil, Shamash, au troisième millénaire avant J.-C., bien avant qu’un culte solaire ne soit attesté chez les Indo-Européens.
Plus important encore, Evola rejette fermement tout panthéisme immanentiste et toute glorification pseudo-philosophique de la science et de la technologie:
Nous devons donc nous libérer de tout mysticisme de ce monde, de tout culte de la nature et de la vie, de tout panthéisme. En même temps, nous devons rejeter ce sens de l’Aryen conçu par ce dilettante qu’est Chamberlain [21] et qui est lié à un éloge purement rationaliste et à la glorification de la science et de la technologie d’ici-bas.
L’élite d’Evola doit être capable de remonter l’histoire jusqu’aux origines de la corruption et de reconstruire l’Occident de manière traditionnelle:
Et cela devrait d’abord être l’œuvre d’une élite qui, avec le désintéressement et la rigueur d’un ordre ascétique, élève les principes et les symboles de la tradition nordique primordiale à un niveau de spiritualité, d’universalité et de connaissance claire et mette fin à toute interprétation dilettante, mythique et déformante.
En conclusion, nous pouvons dire que si le projet d’une spiritualité universelle servie par une élite éclairée peut sembler louable, les tendances mythologiques de la pensée d’Evola et sa réticence à traiter des réalités concrètes de la question juive sapent les compromis pratiques sur lesquels tout projet politique doit s’appuyer.
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[FG: quelque remarques après cette passionnante traversée en compagnie d’Evola et du Reich.
1 – Tant qu’à faire, il ne faut pas s’arrêter à l’histoire, lorsqu’un peuple, au sens organique du terme, vit dans la tradition, il n’a pas non plus besoin de sociologie ni de psychologie.
2 – On peut quand même se demander sir l’Histoire est forcément dégénérescence. Par exemple, l’histoire, en Occident, est présente dans un domaine qui en principe relève typiquement de la tradition: l’art. Or, on a plutôt l’impression que l’histoire avec ses étapes a plutôt été grandement bénéfique à la musique, la peinture, la littérature, et que si l’art souffre de quelque chose aujourd’hui, c’est bien d’une sorte de «fin de l’histoire». Ce à quoi Nietzsche pourrait répondre qu’en réalité, l’histoire n’a fait que consumer le stock de signification porté par la tradition, en étant incapable de créer de sens nouveaux, dans cette optique, l’histoire de l’art s’est simplement arrêtée quand il n’y a plus rien eu à brûler.
3 – Au plan politique, l’histoire est tellement dominée par – s’articule tellement autour de – l’Occident, qu’on peut se demander si l’histoire n’est pas finalement plus constitutive de l’Occident que la tradition. On peut penser à une formule comme: «l’Occident a une tradition, l’émancipation» – n’était-ce que ce genre de formule pseudo synthétique est plus hilarante qu’éclairante et qu’elle ne satisfait personne, ni les tenants de la race (blanche) et de la tradition, ni ceux de l’émancipation].
Source
New Book: Julius Evola in the Third Reich – The Occidental Observer
[1] Vita Italiana, November 1933, 544-9.
[2] I am indebted in this summary to Peter Staudenmaier, ‘Racial Ideology between Fascist Italy and Nazi Germany: Julius Evola and the Aryan Myth, 1933-43,’ Journal of Contemporary History, Vol. 55, No. 3 (2020), 473-491.
[3] Rassegna Italiana, January 1934, 11-16.
[4] Staudenmaier, ibid.
[5] “After Wagner, in the late 1870s and early 1880s, Nietzsche developed intense relationships with several ethnic Jews, all of them atheists, and made explicitly positive pronouncements about Jews.” Nietzsche even wrote: “The Jews, however, are beyond any doubt the strongest, toughest, and purest race now living in Europe.” (Soros, Alex. “Nietzsche’s Jewish Problem: Between Anti-Semitism and Anti-Judaism, by Robert Holub.” Intellectual History Review 28, No. 2 (2018): 344-348.)
[6] Cf. Nietzsche, Beyond Good and Evil, 52: “The Jewish ‘Old Testament,’ the book of divine justice, has people, things, and speeches in such grand style that it is without parallel in the written works of Greece and India … Perhaps he will still find the New Testament, the book of mercy, more to his liking (it is full of the proper, tender, musty stench of true believers and small souls).” (Tr. Judith Norman)
[7] Cf. Nietzsche, Beyond Good and Evil, 251: “The fact that the Jews, if they wanted (or if they were forced, as the anti-Semites seem to want), could already be dominant, or indeed could quite literally have control over present-day Europe — this is established. The fact that they are not working and making plans to this end is likewise established.” (Tr. Judith Norman).
[8] See Ferraresi, Franco. “Julius Evola: Tradition, Reaction, and the Radical Right.” European Journal of Sociology/Archives Européennes de Sociologie 28, No. 1 (1987): 107-151.
[9] Il cammino del cinabro (1963), 137.
[10] Staudenmaier, ibid.
[11] In La vita italiana, 309 (December 1938).
[12] The present edition by Gerd Simon (http://www.gerd-simon.de). presents the December 1937 lecture of Julius Evola as well as the commentaries of Joseph Plassmann/Wolfram Sievers and Kurt Hancke on Evola’s 1938 lectures in Germany.
[13] Ibid.
[14] See A. James Gregor, Mussolini’s Intellectuals: Fascist Social and Political Thought, Princeton, NJ, 2005, p.258n.
[15] See Nicholas Goodrick-Clarke, The Occult Roots of Nazism: The Ariosophists of Austria and Germany 1890-1935, Wellingborough, 1985.
[16] Ibid.
[17] Staudenmaier, op.cit.
[18] Ibid.
[19] Othmar Spann (1878-1950) was an Austrian philosopher who developed an idealistic doctrine of ‘universalism’ to counter the individualism of liberal sociology and economics. As an Austrian nationalist and Catholic, he was not fully favoured by the German National Socialists.
[20] Octavian Goga (1881-1938) was a Romanian politician and man of letters. He was a member of the Romanian National Party in Austro-Hungary and joined forces in 1935 with A.C. Cuza’s anti-Semitic National-Christian Defence League to form the National Christian Party. In 1937 Goga served briefly as Prime Minister of Romania and enacted several anti-Semitic measures to maintain the electoral support of Corneliu Codreanu’s Iron Guard.
[21] Houston Stewart Chamberlain (1855-1927) was a British philosopher who became a naturalised German and wrote many works extolling the spiritual superiority of the Aryan race and of the Germanic peoples in particular.