Chapitre 3 de “Culture de la critique” : LES JUIFS ET LA GAUCHE

LES JUIFS ET LA GAUCHE

Je n’ai jamais pu comprendre ce que le judaïsme avait à voir avec le marxisme, et en quoi se poser des questions sur ce dernier équivalait à être déloyal envers le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

(Ralph de Toledano [1996,50] discutant de ses expériences avec des intellectuels juifs d’Europe de l’Est).

Le socialisme, pour beaucoup d’immigrés juifs, n’était pas simplement une opinion politique ou une idée, mais une culture inclusive, une manière de percevoir et de juger qui structurait leurs vies.

“L’association entre Juifs et gauche a été largement remarqué et commenté au début du XIXème siècle. Peu importe leur situation, dans presque chaque pays pour lesquels nous avons des données, une part de la communauté juive a joué un rôle très éminent dans les mouvements construits dans le but de saper l’ordre existant.” (Rothman & Lichter, 1982, 110).

Au moins en surface, l’implication juive dans l’activité politique radicale peut sembler surprenante. Le marxisme, du moins celui envisagé par Marx, est la totale antithèse du judaïsme. Le marxisme est l’exemple d’une idéologie universaliste dans laquelle l’ethnie et les barrières nationalistes à l’intérieur d’une société -et entre les sociétés- sont finalement supprimées, dans l’intérêt d’une harmonie sociale et d’un sens de l’intérêt commun.

De plus, Marx lui-même, bien que né de deux parents Juifs, a été perçu par beaucoup comme étant antisémite. Sa critique du judaïsme (De la question juive)[Marx 1843/1975])conceptualisait le judaïsme comme s’intéressant fondamentalement à une recherche égoistique d’argent; ce dernier ayant atteint une domination mondiale en transformant l’homme et la nature en objets cessibles.

Marx voyait dans le judaïsme un principe abstrait d’avarice humaine qui ne finirait que dans une société communiste du futur.

Cependant, Marx alla contre l’idée selon laquelle les Juifs devaient abandonner leur judaïté pour devenir citoyens allemands, et il imaginait qu’un judaïsme liberé de son avarice pourrait continuer d’exister dans une société transformée suite à la révolution. (Katz 1986, 113)

Quelques soient les opinions de Marx à ce sujet, une question inévitable se pose, qui consiste à savoir si l’acceptation d’idéologies radicales et universalistes et la participation dans des mouvements radicaux et universalistes sont compatibles avec l’identité juive.

L’adoption d’une telle idéologie en supprimerait-elle une autre, venant de la communauté juive, et son traditionnel penchant à la séparation et à la Nation juive ?

Ou, pour reformuler la question selon ma perspective : “La défense d’idéologies et de mouvements radicaux et universalistes pourrait-elle être compatible avec la participation continue du judaïsme en tant que stratégie évolutionnaire de groupe ?”

Remarquons que la question est différente de celle se demandant si les Juifs en tant que groupe peuvent être pertinemment caractérisés comme défenseurs de solutions politiques radicales pour les sociétés des Gentils.

Cela n’implique pas que le judaïsme constitue un mouvement unifié ou que tout les membres de la communauté juive ont les mêmes croyances ou attitudes envers la communauté non-juive. (voir le Chapiptre 1).

Le fait d’être Juif constitue probablement un élement incontournable ou prédominant dans les mouvements politiques radicaux, et l’identification juive est probablement hautement compatible avec eux, voire facilite une implication dans ces mouvements politiques radicaux sans que la plupart des Juifs impliqués dans ces mouvements, même si les Juifs sont une minorité numérique à l’intérieur du mouvement.

 

Le radicalisme et l’identification juive.

L’hypothèse selon laquelle le radicalisme juif est compatible avec le judaïsme en tant que stratégie évolutionnaire de groupe implique que les Juifs radicaux continuent de s’identifier en tant que Juifs.

Il y a peu de doute que la vaste majorité des Juifs qui ont prôné les causes de gauche débutées à la fin du XIXème siècle s’identifaient fortement comme Juifs, et qu’ils ne voyaient aucun conflit entre judaïsme et radicalisme. (Marcus 1983, 280ff; Levin 1977, 65, 1988, I, 4-5; Mishkinsky 1968, 290, 291; Rothman & Lichter 1982, 92-93; Sorin 1985, passim)

En effet, les plus grands mouvements radicaux juifs de Russie et de Pologne étaient les “Jewish Bunds”, dont l’adhésion était réservée aux Juifs, avec un programme très clair, poursuivant spécifiquement les intérêts juifs.

La prolétarisation du Jewish Bund fit partie d’une réelle tentative de préserver leur identité nationale, en tant que Juifs. (Marcus 1983, 282).

La fraternité avec la classe moyenne non-juive avait pour but de faciliter leurs objectifs de Juifs radicaux, et une affirmation identique peut être faite sur le “Russian Jewish Bund”. (Liebman 1979, 1 1 Iff)

Comme ces “Bunds” représentaient de loin la majorité du mouvement radical juif dans ces pays, la vaste majorité des juifs prenant part à ces mouvements radicaux à cette période s’identifiaient fortement en tant que Juifs.

De plus, beaucoup de membres Juifs du Parti communiste de l’Union soviétique sont apparus comme ayant eu l’intention d’établir une forme de judaïsme laïc, plutôt que de rompre la continuité du groupe juif.

Le gouvernement soviet post-révolutionnaire et les mouvements socialistes juifs ont débattu férocemment sur la question de la préservation de l’identité nationale. (Levin 1988; Pinkus 1988)

Malgré une idéologie officielle selon laquelle nationalisme et séparatisme ethnique étaient perçus comme révolutionnaires, le gouvernement soviet a été obligé de faire avec la réalité : des identifications nationales et ethniques très fortes à l’intérieur de l’Union soviétique.

Par conséquent, une section juive du parti communiste (Evsektstiya) fut créée.

Cette section combattit ardemment les partis sociaux-sionistes, les communautés juives démocratiques, la foi juive et la culture hébraïque. (Pinkus 1988, 62)

Elle a, cependant, réussi à former un modèle de vie laïc fondé sur le Yiddish comme langue nationale de la Nation juive, à lutter pour la survie de cette nation dans les années 1920, et à travailler dans les années 30 au ralentissement du processus d’assimilation du langage et de la culture juifs dans la soviétisation.

La conséquence de ces efforts fut le développement d’une sous-culture yiddish séparatiste, soutenue par l’Etat, incluant des écoles yiddishs et même des soviets yiddishs.

Cette culture séparatiste fut très agressivement soutenue par l’Evsektsiya.

Les parents juifs réticents étaient forcé “par la terreur” d’envoyer leurs enfants à ces écoles culturellement séparatistes, plutôt que dans les écoles où les enfants n’auraient pas du réapprendre leurs matières en russe afin de passer leur examen d’entrée. (Gitelman 1991, 12)

Les thèmes abordés par les écrivains Juifs soviétiques des années 1930, éminents et officiellement honorés, témoignent de l’importance de l’identité ethnique : ” L’axe de leur prose, leur poésie et leur drame ne se résumait qu’à une chose : les limitations de leurs droits sous le tsarisme et l’épanouissement des ancien opprimés Juifs sous le règne de Lénine/Staline.” (Vaksberg 1994, 115).

Crée en 1942 et s’étendant à la période suivant la guerre, le comité juif anti-fasciste (JAC), soutenu par le gouvernement, servit à promouvoir les intérêts culturels et politiques juifs. (notamment une tentative d’établir une république juive en Crimée) jusqu’à ce qu’il soit dissous par le gouvernement pour cause de nationalisme juif, resistance à l’assimilation, et sympathies sionistes en 1948. ((Kostyrchenko 1995, 30ff; Vaksberg 1994, 1 12ff).

 

Les dirigeants du JAC s’identifiaient fortement comme Juifs. Les commentaires suivants du chef du JAC, Itsik Fefer, sur ses attitudes pendant la guerre indiquent un puissant sentiment d’appertenance au peuple juif, remontant à des temps immémoriaux :  “j’ai dit que j’aime mon peuple. Mais qui n’aime pas son propre peuple? … Mes intérêts vis à vis de la Crimée et du Birobidjan [une zone de l’Union soviétique destinée à la colonisation juive] avaient été dictés par cela. Il me semblait que seul Staline pouvait rectifier cette injustice historique qui avait été créée par les empereurs romains. Il me semblait que seul le gouvernement soviétique pouvait rectifier cette injustice en créant une nation juive”. (In Kostyrchenko 1995, 39)

 

Malgré leur absence totale d’identification avec le judaïsme en tant que religion et malgré leurs batailles contre certains des signes les plus marquants du groupe séparatiste juif, l’appartenance au Parti communiste soviétique par ces activistes juifs n’était pas incompatible avec le développement de mécanismes conçus pour la continuité du groupe en tant qu’entité laïque. En l’occurrence, mis à part la progéniture issue de mariages interethniques, très peu de Juifs ont perdu leur identité juive pendant toute l’ère soviétique (Gitelman 1991, 5), et les années suivant la Seconde Guerre mondiale ont vu un puissant renforcement de la culture juive et du sionisme en Union soviétique. Commençant par

la dissolution du JAC, le gouvernement soviétique a lancé une campagne de répression contre toutes les manifestations du nationalisme juif et de la culture juive, y compris la fermeture des théâtres et des musées juifs et la dissolution des syndicats des écrivains juifs.

 

La question de l’identification juive des bolcheviks qui étaient Juifs de naissance est complexe. Pipes (1993, 102-104) affirme que les bolcheviks d’origine juive dans la période tsariste ne s’identifient pas comme des juifs, bien qu’ils aient été perçus par

les Gentils comme agissant au nom des intérêts juifs et qu’ils aient été sujet à l’antisémitisme. Par exemple, Leon Trotsky, le deuxième plus important bolchevik après Lénine, a pris grand soin d’éviter de sembler avoir une quelconque identité juive, ou qu’il avait un intérêt quelconque pour les questions juives.

Il est difficile de croire que ces radicaux n’avaient tous aucune identité juive, étant donné qu’ils étaient considérés comme des Juifs par d’autres Juifs et étaient la cible des antisémites. En général, l’antisémitisme augmente l’identification juive {SAID,Ch. 6). Cependant, il est possible que dans ces cas, l’identité juive fut largement imposée de l’extérieur. Par exemple, le conflit dans les années 1920 entre Staline et l’opposition de gauche, dirigée par Trotsky, Grigory Zinoviev, Lev Kamenev et Grigory Solkolnikov (tous étaient des Juifs ethniques), avait un fort accent de conflit de groupe Gentils/Juifs: “L’aliénation évidente” qui aurait réuni tout un bloc des candidats était une circonstance flagrante ” (Vaksberg 1994, 19, voir aussi Ginsberg 1993, 53; Lindemann 1997, 452; Pinkus 1988, 85-86; Rapoport 1990, 38; Rothman & Lichter 1982, 94).

Pour tous les participants, les antécédents juifs ou gentils de leurs adversaires étaient très apparrants, et en effet, Sidney Hook (1949, 464) note que les staliniens non juifs ont utilisé des arguments antisémites contre les trotskystes. Vaksberg cite Vyacheslav Molotov (le ministre des Affaires étrangères et le deuxième dirigeant soviétique le plus important) en disant que Staline ignorait Kamenev parce qu’il voulait qu’un non-Juif dirige le gouvernement. De plus, l’internationalisme du bloc juif par rapport au nationalisme implicite de la position stalinienne (Lindemann 1997, 450) est plus conforme aux intérêts juifs et reflète certainement un thème commun des attitudes juives dans les sociétés post-Lumières, de manière générale.

 

Tout au long de cette période, et jusque dans les années 1930, “pour le Kremlin et la Lubyanka [la police secrète russe] ce n’était pas la religion mais le sang qui déterminait la judéité” (Vaksberg 1994, 64). En effet, la police secrète a utilisé des étrangers ethniques (par exemple, des Juifs en Ukraine, traditionnellement antisémite) comme agents parce qu’ils auraient moins de sympathie pour les indigènes (Lindemann 1997, 443) – une politique qui d’un point de vue évolutif, fait tout à fait sens.

L’origine ethnique juive était donc importante non seulement pour les Gentils* mais aussi subjectivement importante pour les Juifs. Lorsque la police secrète a voulu enquêter sur un agent juif, ils ont recruté une «jeune fille juive pure» pour avoir une relation intime avec lui – considérant implicitement que l’opération serait plus efficace si la relation était intraethnique (Vaksberg 1994, 44n). De même, les Juifs de gauche ont tendance à idolâtrer d’autres Juifs comme Trotsky et Rosa Luxemburg plutôt que des Gentils de gauche, comme en Pologne (Schatz 1991, 62, 89), même si certains intellectuels ont de sérieux doutes quant à l’identification juive de ces deux révolutionnaires.

En effet, Hook (1949, 465) trouve une intention parmi les gauchistes selon laquelle il y avait une base ethnique explicant l’attraction des intellectuels juifs à Trotsky. Selon les termes de l’un d’entre eux, “ce n’est pas un hasard si les trois quarts des dirigeants trotskistes sont juifs”.

Il y a donc une preuve considérable que les bolcheviks juifs ont généralement conservé une identité juive, au moins  résiduelle. Dans certains cas, cette identité juive peut en effet avoir été «réactive» (c’est-à-dire résultant des perceptions des autres). Par exemple, Rosa Luxemburg a pu avoir une identité juive réactive, puisqu’elle était perçue comme une juive malgré le fait qu’elle “était la plus critique de son propre peuple, allant parfois jusqu’à des insultes sans pitié envers d’autres juifs” (Shepherd 1993, 118 ). Néanmoins, la seule relation sexuelle importante de Luxemburg était avec un Juif, et elle a continué à maintenir des liens avec sa famille. Lindemann (1997, 178juge que le conflit entre la gauche révolutionnaire luxembourgeoise et les réformistes sociaux-démocrates en Allemagne avaient des connotations de conflit ethnique germano-juif, étant donné le grand pourcentage et la grande visibilité des Juifs parmi les premiers.

 

Au début de la Première Guerre mondiale, “les amitiés décroissantes envers Luxemburg au sein du parti étaient devenues plus exclusivement juives, alors que son mépris pour les dirigeants du parti (pour la plupart non juifs) devenait plus public et vitriolique. Ses références aux dirigeants étaient souvent empreintes de phrases typiquement juives: les dirigeants du Parti étaient des «shabbat-goyim de la bourgeoisie»”. (littérallement, un shabbat-goy est un non-juif employé par des Juifs pour faire les tâches que les Juifs ne peuvent pas faire le jour du Shabbat, par souci religieux).

Pour beaucoup d’Allemands d’extrême-droite, Luxemburg est devenu le plus détesté de tous les révolutionnaires, la personnification du Juif, “étranger et destructeur “(p.402). Compte tenu de ces conclusions, les possibilités que Luxemburg ait été en fait une crypto-juive ou qu’elle était engagée dans une auto-tromperie concernant son identité juive – ce dernier cas arrivant assez fréquemment chez les radicaux juifs (voir ci-dessous) – semble être au moins aussi probable que de supposer qu’elle ne s’est pas du tout identifiée en tant que Juive.

 

En termes de théorie de l’identité sociale, l’antisémitisme rendrait difficile le fait d’adopter l’identité de la culture environnante. Les pratiques juives séparatistes traditionnelles combinées à la concurrence économique ont tendance à entraîner l’antisémitisme,

mais l’antisémitisme à son tour rend l’assimilation juive plus difficile parce qu’il devient plus difficile pour les Juifs d’accepter une identité non juive. Ainsi dans le période de l’entre-deux-guerres en Pologne, l’assimilation culturelle juive a considérablement augmenté;

en 1939, la moitié des lycéens juifs disaient du polonais qu’elle était leur langue maternelle. Cependant, la continuation de la culture juive traditionnelle parmi une proportion substantielle de Juifs et son antisémitisme corrélatif a entraîné une barrière pour les Juifs

souhaitant adopter une identification polonaise (Schatz 1991, 34-35). Du point de vue des Gentils, cependant, les réactions antisémites à

des individus comme Luxembourg et d’autres Juifs assimilateurs étrangers peuvent être considérés comme résultant d’une tentative ayant pour but d’empêcher un auto-aveuglement, en pêchant par exagération quant à l’étendue réelle du nombre de Juifs s’identifiant comme Juifs et tentant consciemment d’avancer des intérêts spécifiquement juifs.  De telles perceptions de Juifs laïcs et de Juifs qui se sont convertis au christianisme a été un trait commun de l’antisémitisme dans le monde suivant “les Lumières”, et en effet, de tels Juifs ont souvent maintenu des liens sociaux et d’affaires officieux, qui ont abouti à des mariages avec d’autres juifs baptisés et des familles juives qui n’avaient pas changé leur religion de surface  (voir SAID, chapitre 5, 6). 75

Je suggère qu’il n’est pas possible d’établir de façon concluante l’ identification juive -ou son absence- chez les bolchéviques ethniquements juifs  avant la révolution et dans la période post-révolutionnaire où les Juifs ethniques avaient beaucoup de pouvoir en Union soviétique. Plusieurs facteurs favorisent notre supposition selon laquelle l’identification juive ait eu lieu chez un pourcentage significatif de Juifs ethniques :

 

(1)Les personnes classées en tant que Juifs l’ont été en fonction de leur origine ethnique, au moins en partie à cause de l’antisémitisme résiduel; cela tendrait à imposer une identité juive sur ces personnes et rendent difficile d’assumer une identité exclusive, en tant que membre d’un groupe politique plus large et plus inclusif.

(2) Beaucoup de bolcheviks juifs, comme ceux d’Evsektsiya et du JAC, ont cherché activement à établir une sous-culture juive laïque.

(3) Très peu de Juifs de gauche envisageaient une société postrevolutionnaire sans continuation du judaïsme en tant que groupe; effectivement,

l’idéologie prédominante parmi les gauchistes juifs était que la société  postrévolutionnaire mettrait fin à l’antisémitisme, car il mettrait fin au conflit de classe et le profil particulier des Juifs dans le monde du travail.

(4) Le comportement des communistes américains montre que l’identité juive et la primauté des intérêts juifs sur les intérêts communistes

étaient monnaie courante parmi les individus qui étaient des communistes, ethniquement juifs. (voir ci-dessous).

(5) L’existence de crypto-Juifs en d’autre lieux et endroits combinée avec la possibilité que le fait de se mentir à soi-même, la flexibilité identificatoire et l’ambivalence identificatoire soient des éléments importants du judaïsme en tant que stratégie évolutive de groupe. (voir SAID, chapitre 8).

 

Cette dernière possibilité est particulièrement intéressante et sera développée ci-dessous. La meilleure preuve que ces personnes ont vraiment cessé d’avoir une identité juive est s’ils choisissent une option politique qu’ils perçoivent clairement comme n’étant pas dans l’intérêt des Juifs en tant que groupe. En l’absence d’un conflit avec les intérêts juifs clairement perçu, il reste possible que les différents choix politiques parmi les Juifs ethniques ne soient que des différences de tactiques quant à la meilleure façon de réaliser les intérêts juifs. Dans le cas des membres juifs du Parti communiste américain (CPUSA) examinés ci-dessous, la meilleure preuve que les membres ethniquement juifs ont continué à avoir une identité juive est qu’en général leur soutien à la CPUSA a chuté et diminué selon que les politiques soviétiques étaient perçues comme violant des intérêts juifs spécifiques, tels que le soutien à Israël ou l’opposition à l’Allemagne nazie.

 

L’identification juive est un sujet complexe où les déclarations de surface peuvent être trompeuses. En effet, les Juifs peuvent ne pas savoir consciemment à quel point ils s’identifient au judaïsme. Silberman (1985, 184), par exemple, note qu’à l’époque de la guerre israélo-arabe de 1967, beaucoup de Juifs pouvaient s’identifier à la déclaration de Rabbi Abraham Joshua Heschel selon laquelle «je ne savais pas comment j’étais juif» (in Silberman 1985 , 184, emphase dans le texte). Silberman commente: “Ce fut la réponse, non pas d’un nouveau venu au judaïsme ou d’un dévot occasionnel, mais de l’homme que beaucoup, moi inclus, considèrent comme le plus grand leader spirituel juif de notre temps.” Hertzberg (1979, 210) a écrit: «La réaction immédiate de la communauté juive américaine à la crise était beaucoup plus intense et répandue que personne ne pouvait l’imaginer. Beaucoup de Juifs n’auraient jamais cru qu’un danger grave pour Israël pouvait dominer leurs pensées et leurs émotions à l’exclusion de tout le reste. ”

 

Considérons le cas de Polina Zhemchuzhina, l’épouse de Vyacheslav Mikhaïlovitch Molotov (Premier ministre de l’URSS pendant les années 1930) et une éminente révolutionnaire qui a rejoint le Parti communiste en 1918. (Entre autres réalisations, elle était membre du Comité central du Parti.) Golda Meir a visité l’Union soviétique en 1948, Zhemchuzhina a plusieurs fois prononcé l’expression “Ich bin a Yiddishe tochter” (Je suis une fille du peuple juif).  Quand Meir a demandé comment elle parlait si bien le yiddish (Rubenstein 1996, 262), “elle s’est séparé de [la délégation israélienne] avec des larmes dans ses yeux, disant: «Je souhaite que tout va bien pour toi là-bas et alors tout ira bien pour tous les Juifs »(Rubenstein 1996, 262)”. Vaksberg (1994, 192) la décrit comme “une stalinienne de fer, mais son fanatisme ne l’a pas empêchée d’être une «bonne fille juive»”.

 

Considérons également le cas d’Ilya Ehrenburg, éminent journaliste soviétique et propagandiste antifasciste pour l’Union soviétique dont la vie est décrite dans un livre dont le titre, Tangled Loyalties (Rubenstein 1996), illustre les complexités de Identité juive en Union soviétique. Ehrenburg était un stalinien loyal, soutenant la ligne soviétique sur le sionisme et refusant de condamner les actions anti-juives soviétiques

(Rubenstein 1996).

Néanmoins, Ehrenburg a eu des vues sionistes, a maintenu des schémas associatifs juifs, a cru dans l’unicité du peuple juif,

et était profondément préoccupé par l’antisémitisme et l’Holocauste. Ehrenburg était un membre organisateur du JAC, qui a préconisé le renouveau culturel juif et un plus grand contact avec les Juifs à l’étranger.

 

 

Un ami écrivain l’a décrit comme étant “d’abord un Juif. Ehrenburg avait rejeté ses origines avec tout son être, déguisé

lui-même en occidental, en fumant du tabac hollandais et en faisant ses plans de voyage à

Cook … Mais il n’a pas effacé le Juif “(p.204).  “Ehrenburg n’a jamais renié ses origines juives et autour de la fin de sa vie,il répétait souvent la conviction provocante selon laquelle il se considérerait comme un juif «tant qu’il y aurait un seul antisémite sur la terre» (Rubenstein 1996, 13). Dans un article célèbre, il a cité une déclaration selon laquelle “le sang existe sous deux formes; le sang qui coule dans les veines et le sang qui coule des veines … Pourquoi dis-je: ‘Nous les Juifs?’ A cause du sang “(page 259).

En effet, son intense loyauté envers le régime de Staline et son silence à propos des brutalités soviétiques impliquant le meurtre de millions de ses citoyens durant les années 1930 ont peut-être été motivées en grande partie par son point de vue selon lequel l’Union soviétique était un rempart contre le fascisme (pp. 143-145). “Aucune transgression ne l’énervait plus que l’antisémitisme” (page 313).

Un reste puissant d’identité juive  chez un bolchevik célèbre peut également être

vu dans le commentaire qui suit, parlant de la réaction des Juifs ethniques devant l’émergence d’Israël:

Il semblait que tous les Juifs, indépendamment de l’âge, de la profession, ou du

statut social, se sentaient responsables du petit Etat lointain qui était

devenu un symbole de la renaissance nationale. Même les Juifs soviétiques qui

avaient semblé être irrévocablement assimilés étaient maintenant sous le charme du miracle du Moyen-Orient.

Yekaterina Davidovna (Golda Gorbman) était une fanatique bolchevik et internationaliste, et épouse du maréchal Kliment Voroshilov, et dans sa jeunesse, elle avait été excommunié car incroyante; mais maintenant elle avait rendu bouche bée ses proches en disant : «Maintenant, nous avons enfin notre patrie, nous aussi. “(Kostyrchenko 1995, 102).

 

Le fait est que l’identité juive, même d’un Juif hautement assimilé, et même chez celui qui a subjectivement rejeté une identité juive, peut apparaître en période de crise pour le groupe, ou lorsque l’identification juive entre en conflit avec toute autre identité qu’un Juif pourrait avoir, y compris identification en tant que radical politique. Comme prévu sur la base de la théorie de l’identité sociale, Elazar (1980) note qu’en période de menace perçue pour le judaïsme, il y a une  forte augmentation de l’identification de groupe chez les juifs même «très marginaux», comme pendant la guerre du Yom Kippour. En conséquence, les affirmations concernant l’identification juive qui ne tiennent pas compte des menaces perçues au judaïsme peuvent sérieusement sous-estimer l’étendue de l’engagement juif. Les déclarations de surface d’un manque d’identité juive peuvent être très trompeuses. 76 Et comme nous le verrons, il y a de sérieux indices quant à  l’auto-tromperie sur l’identité juive, répandue parmi les radicaux juifs.

 

De plus, il existe de bonnes preuves que tant dans la période tsariste que dans la

période post-révolutionnaire, les bolcheviks juifs ont vus leurs activités comme étant conformes aux intérêts juifs. La révolution a mis fin à l’antisémitisme officiel du gouvernement tsariste, et bien que l’antisémitisme populaire a continué lors de la

période postrevolutionnaire, le gouvernement a officiellement interdit l’antisémitisme. Les Juifs étaient fortement surreprésentés dans les postes de pouvoir économique et politique ainsi que pour l’influence culturelle, au moins dans les années 1940. C’était aussi un gouvernement qui

agressivement tenté de détruire tous les vestiges du christianisme en tant que force socialement unificatrice au sein de l’Union soviétique tout en établissant une sous-culture juive laïque afin que le judaïsme ne perde pas sa continuité de groupe ou ses schémas unificateurs, tels que la langue yiddish.

 

Il est donc douteux que les bolcheviks juifs soviétiques aient jamais eu à choisir entre une identité juive et une identité bolchevique, au moins dans la période pré-révolutionnaire et dans les années 1930. Compte tenu de cette conformité à ce que l’on

pourrait qualifier  “d’intérêt personnel identificatoire”, il est tout à fait possible que les bolcheviks aient pu nié ou ignoré leurs identités juives – peut-être aidés par les mécanismes de l’auto-tromperie – alors qu’ils auraient pu néanmoins avoir conservé une Identité juive qui n’aurait fait surface que si un conflit clair entre les intérêts juifs et les politiques menées par les communistes aurait eu lieu.

 

COMMUNISME ET IDENTIFICATION JUIVE EN POLOGNE

Le travail de Schatz (1991) sur le groupe des communistes juifs qui sont venus au

pouvoir en Pologne après la Seconde Guerre mondiale (appelé par Schatz “la génération”) est

important parce qu’il met en lumière les processus identificatoires d’une

génération de Juifs communistes en Europe de l’Est. Contrairement à la situation en Union soviétique où la faction majoritairement juive dirigée par Trotsky était vaincue, il est possible de retracer les activités et les identifications d’une élite communiste qui a effectivement obtenu le pouvoir politique et l’a tenu pendant une période significative.

Notons que cela implique que les processus auto-trompeurs étaient à l’œuvre ici :

Les membres de la génération ont nié les effets d’une expérience de socialisation omniprésente, qui a coloré toutes leurs perceptions ultérieures, de sorte que dans un très réel sens, ils ne savaient pas comment ils étaient juifs. La plupart de ces personnes ont parlé Yiddish dans leur vie quotidienne et avait seulement une mauvaise maîtrise du polonais même après avoir rejoint le parti (page 54). Ils ont complètement sociabilisé  avec d’autres Juifs qu’ils ont rencontrés dans le monde juif du travail, du quartier et dans les organisations sociales et politiques juives. Après qu’ils sont devenus communistes, ils se sont mariés et se sont mariés entre eux, et leurs réunions sociales ont été menées en yiddish (p.116). Comme c’est le cas de tous les mouvements intellectuels et politiques juifs discutés dans ce volume, leurs mentors et les influences principales étaient d’autres Juifs ethniques, notamment Luxembourg et Trotsky (pp. 62, 89), et quand ils ont rappelé leurs héros personnels, ils étaient pour la plupart des Juifs dont les exploits atteignaient des proportions quasi mythiques(p.112).

 

Les Juifs qui ont rejoint le mouvement communiste n’ont pas d’abord rejeté leur identité ethnique, et il y en avait beaucoup qui “chérissaient la culture juive … [et] rêvaient d’une société dans laquelle les juifs seraient égaux en tant que juifs “(page 48).

En effet, c’était commun pour ces individus de combiner une forte identité juive avec le marxisme ainsi que diverses combinaisons de sionisme et de bundisme. De plus, l’attrait du communisme pour les juifs polonais a été grandement facilité par leur connaissance que les Juifs avait atteint des postes de haut niveau de pouvoir et d’influence en Union soviétique que le gouvernement soviétique avait établi un système d’éducation  et de

culture juive (page 60). En Union Soviétique et en Pologne, le communisme était considéré comme combattant l’antisémitisme. En revanche, au cours des années 1930, le gouvernement polonais a élaboré des politiques dans lesquelles les Juifs ont été exclus des emploi secteur public, des quotas sur la représentation juive dans les universités et

professions libérales ont été instaurés, et des boycotts organisés par le gouvernement des entreprises et commerces juifs ont été mis en scène (Hagen 1996).

 

Clairement, les juifs ont perçu le communisme comme bon

pour les Juifs: C’était un mouvement qui ne menaçait pas la continuité du groupe juif, et il tenait la promesse de pouvoir et d’influence pour les Juifs et la fin de l’antisémitisme d’État.

A un bout du spectre de l’identification juive il y avait des communistes qui ont

commencé leur carrière dans le Bund ou dans les organisations sionistes, parlaient yiddish, et

travaillaient entièrement dans un milieu juif. Les identités juives et communistes étaient

complètement sincères, sans ambivalence ni conflit apparent entre ces deux

sources d’identité. À l’autre bout du spectre de l’identification juive,

certains communistes juifs ont peut-être eu l’intention d’établir un état dé-ethnicisé

sans la continuité du groupe juif, bien que la preuve de cela est plus qu’irréfutable. Dans la période d’avant-guerre, même les Juifs les plus «dé-ethnicisés» assimilés extérieurement en s’habillant comme des gentils, en prenant des noms gentils

(suggérant la tromperie), et apprenant leurs langues. Ils ont tenté de recruter des Gentils dans le mouvement, mais ils ne se sont pas assimilés ou n’ont pas tenté de s’assimiler dans la culture polonaise. Ils ont conservé des attitudes traditionnelles juives “dédaigneuses et hautaines”envers ce qu’ils considéraient, en tant que marxistes, comme une culture polonaise paysane “attardée” (page 119). Même les communistes juifs les plus assimilés travaillant dans les zones urbaines avec des non-Juifs ont été bouleversés par le pacte de non-agression germano-soviétique

mais ont été soulagés quand la guerre germano-soviétique a finalement éclaté (p.121) – une indication claire que l’identité personnelle juive  restait assez proche de la surface. Le Parti communiste de Pologne (KPP) a également conservé le sens de la promotion des intérêts spécifiquement juifs plutôt qu’une allégeance aveugle à l’Union soviétique. En effet, Schatz (page 102) suggère que Staline a dissous le KPP en 1938 à cause de

la présence des trotskystes au sein du KPP et parce que les dirigeants soviétiques s’attendaient à ce que le KPP soit opposé à l’alliance avec l’Allemagne nazie.

Dans SAID (Ch. 8), il a été noté que l’ambivalence identificatoire a été une

caractéristique constante du judaïsme depuis les Lumières. Il est intéressant que les militants juifs polonais aient montré beaucoup d’ambivalence identificatoire et finalement de la contradiction entre “la croyance en une sorte d’existence collective juive, et, en même temps, un rejet d’une telle communion ethnique, comme on la pensait incompatible avec les divisions de classe et nuisible à

la lutte politique générale; s’efforçant de maintenir un type spécifique de culture juive et, en même temps, vue comme étant une simple forme ethnique du message communiste, déterminant dans l’incorporation des Juifs dans la communauté socialiste polonaise; et maintenant des institutions juives séparées tout en désirant éliminer la “séparativité” juive en tant que telle “(p.234). Il apparaîtra dans

ce qui suit que les Juifs, y compris les communistes juifs au plus haut niveau de gouvernement, se sont maintenus comme un groupe cohérent et identifiable. Cependant, bien qu’ils semblent eux-mêmes ne pas avoir remarqué la nature collective juive de leur

expérience (p.240), il était observable pour les autres – un exemple clair d’auto-tromperie, également évident dans le cas des gauchistes juifs américains, comme indiqué ci-dessous.

Ces communistes juifs étaient également engagés dans des rationalisations et  auto-tromperies  élaborées, liées au rôle du mouvement communiste en Pologne, de sorte qu’on ne puisse pas prendre le manque de preuves d’identité ethnique juive manifeste comme

un indice sérieux de manque d’identité juive. “Des anomalies cognifiques et émotionnelles – des pensées et des émotions non libres, mutilées et déformées – sont devenues le prix à payer pour maintenir leurs croyances inchangées … Ajuster leurs expériences à leurs

croyances a été réalisé grâce à des mécanismes d’interprétation, de suppression, de justification,

ou d’explication” (p.191). “Autant ils ont pu habilement appliquer leur

pensée critique aux analyses perspicaces du système sociopolitique qu’ils ont rejeté,

autant ils étaient bloqués quand il s’agissait d’appliquer les mêmes règles d’analyse critique au système qu’ils considéraient comme l’avenir de toute l’humanité”  (p.192).

Cette combinaison de rationalisation auto-trompeuse ainsi que d’une preuve considérable

d’identité juive peut être vue dans les commentaires de Jacub Berman, un des dirigeants les plus éminents de l’après-guerre. (Tous les trois dirigeants communistes qui ont dominé la Pologne entre 1948 et 1956, Berman, Boleslaw Bierut, et Hilary Mine, étaient des Juifs.) En ce qui concerne les purges et les meurtres de milliers de communistes, y compris de nombreux Juifs, en Union soviétique dans les années 1930, Berman

affirme :

“J’ai essayé du mieux que je pouvais d’expliquer ce qui se passait; de clarifier le contexte, les situations pleines de conflits et de contradictions internes  dans lesquelles Staline s’était probablement trouvé et qui l’ont forcé à agir comme il l’a fait; et d’exagérer les erreurs de l’opposition, qui ont pris des proportions grotesques dans les accusations ultérieures contre eux et qui ont été plus tard détruites par la propagande soviétique.

Tu devais alors avoir beaucoup d’endurance et de dévouement à la cause, afin d’accepter ce qui s’était passé malgré toutes les distorsions, les blessures et les tourments.” (Dans Toranska 1987, 207)

 

Quant à son identité juive, Berman a répondu comme suit lorsqu’il fut interrogé sur son projet après la guerre:

“Je n’avais aucun plan particulier. Mais j’étais conscient du fait

qu’en tant que Juif, je ne devrais pas ou ne serais pas capable de remplir

les plus hauts postes. D’ailleurs, ça ne me dérangeait pas de ne pas être au premier rang :  pas parce que je suis particulièrement humble par nature, mais parce que ce n’est pas pas du tout nécessaire d’être dans une position d’importance pour exercer un réel pouvoir. L’important pour moi était d’exercer mon influence, de laisser mon empreinte sur la formation gouvernementale compliquée, qui était en train de se créer, mais sans me projeter moi-même. Naturellement, cela nécessitait une certaine agilité. “(In Toranska 1987, 237)

De toute évidence, Berman s’identifie comme un Juif et est bien conscient du fait que les autres le perçoivent comme un Juif et que, par conséquent, il doit faussement travestir son profil public. Berman note également qu’il était soupçonné en tant que Juif pendant la campagne soviétique anti-“cosmopolite” débutant à la fin des années 1940. Son frère, un activiste au Comité central des Juifs polonais (l’organisation pour établir une culture juive laïque en Pologne communiste), a émigré en Israël en 1950 pour éviter les conséquences des politiques antisémites d’inspiration soviétique en Pologne. Berman écrit qu’il n’a pas suivi son frère en Israël, même si son frère l’a fortement encouragé à le faire: “J’étais, bien sûr, intéressé par ce qui se passait dans Israël, d’autant plus que je connaissais bien les gens là-bas “(in Toranska 1987, 322). De toute évidence, le frère de Berman considérait Berman non pas comme un non-Juif mais plutôt comme un Juif qui devrait émigrer en Israël à cause de l’antisémitisme naissant. Les liens étroits de la famille et de l’amitié  entre un très haut fonctionnaire du gouvernement communiste polonais et un militant dans l’organisation de promotion de la culture laïque juive en Pologne suggèrent également fortement qu’il n’y avait pas d’incompatibilité perçue entre les identifications en tant que Juif et en tant que communiste, même parmi les communistes polonais les plus assimilés de l’époque.

 

Alors que les membres juifs considéraient le KPP comme bénéfique pour les intérêts juifs, le parti était perçu par les Polonais non-juifs, même avant la guerre, comme «pro-soviétique, anti-patriotique et ethniquement «pas vraiment polonais» »(Schatz 1991, 82). Cette perception de manque de patriotisme était la principale source d’hostilité populaire envers le KPP (Schatz,1991,91).

 

D’une part, pendant une grande partie de son existence, le KPP a été en guerre non seulement contre l’État polonais, mais contre tout son corps

politique, y compris les partis d’opposition légaux de la gauche. D’autre part, aux yeux de la grande majorité des Polonais, le KPP était une agence étrangère, subversive de Moscou, axée sur la destruction de l’indépendance durement acquise de la Pologne et sur l’incorporation de la Pologne dans l’Union Soviétique. Étiquetée “d’agence  soviétique” ou de” Communauté juive”, elle était considérée comme étant une conspiration fondamentalement non-polonaise dédiée à saper la souveraineté nationale et à rétablir, sous une nouvelle forme, la domination russe. (Coutouvidis & Reynolds 1986, 115)

Le KPP a soutenu l’Union Soviétique lors de la guerre polono-soviétique de 1919-1920 et

lors de l’invasion soviétique de 1939. Il a également accepté la frontière de 1939 avec l’URSS

et était relativement indifférent au massacre soviétique des prisonniers polonais de

guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que le gouvernement polonais en exil à Londres a eu sur ces questions un point de vue nationaliste. L’armée soviétique et ses alliés polonais “dirigés par un calcul politique de sang-froid, des nécessités militaires, ou les deux “ont permis au soulèvement de l’Armée de l’Intérieur, fidèle au gouvernement polonais non-communiste en exil, d’être vaincu par les Allemands, causant 200 000 morts, effaçant ainsi “la crème de l’élite activiste anti-communiste et non-communiste” (Schatz 1991, 188). le

Les Soviétiques ont également arrêté immédiatement les chefs de la résistance non-communistes survivants après la guerre.

 

De plus, comme ce fut le cas avec le Parti communiste américain, la mainmise et l’implication juive  dans le communisme polonais était beaucoup plus grande que les apparences en surface; des polonais ethniques ont été recrutés et promus à des postes élevés afin de réduire la perception selon laquelle le KPP était un mouvement juif (Schatz 1991, 97). Cette tentative a fait diminuer de manière insidieuse le caractère juif du mouvement communiste, qui était également apparent dans le ZPP. (Le ZPP fait référence à l’Union des Patriotes Polonais – un

Organisation de front communiste – au nom orwellien, créée par l’Union Soviétique afin d’occuper la Pologne après la guerre.)  En dehors des membres de la génération dont on pouvait compter sur la loyauté politique et qui formait le noyau de leadership du

groupe, les Juifs ont souvent été découragés de rejoindre le mouvement, par peur du fait qu’il semblerait trop juif. Cependant, les Juifs qui pouvaient physiquement passer pour des Polonais ont été autorisés à le rejoindre et ont été encouragés à déclarer qu’ils étaient des Polonais ethniques et à changer leurs noms pour des noms à consonance polonaise.  “Tout le monde n’était pas approché [pour se livrer à la tromperie], et certains ont été épargnés de telles propositions parce qu’on ne pouvait rien faire avec eux: ils avaient tout simplement l’air trop juifs »(Schatz 1991, 185).

 

Lorsque ce groupe est arrivé au pouvoir après la guerre, ils ont avancé les intérêts politiques, économiques et culturels des soviétiques en Pologne, tout en poursuivant agressivement des intérêts spécifiquement juifs, y compris la destruction de l’opposition nationaliste  dont l’antisémitisme ouvertement exprimé venait au moins en partie du fait que les Juifs étaient vus  comme favorisant la domination soviétique. La purge du groupe de Wladyslaw Gomulka, peu de temps après la guerre, a eu pour conséquences une promotion des Juifs et l’interdiction complète de l’antisémitisme. De plus, l’opposition générale entre le gouvernement communiste polonais dominé par les Juifs et soutenu par les Soviétiques, et l’antisémitisme nationaliste clandestin ont nourri l’allégeance de la grande majorité de la population juive au gouvernement communiste alors que la grande majorité des Polonais non juifs préféraient les partis anti-soviétiques (Schatz 1991, 204-205). Le résultat a été un antisémitisme généralisé : À l’été 1947, environ 1 500 Juifs avaient été tués dans des “incidents”, dans 155 localités.

Selon les dires du cardinal Hlond, commentant en 1946 un incident dans lequel 41 Juifs ont été tués, le pogrom était “dû aux Juifs qui occupent aujourd’hui des positions de premier plan dans le gouvernement de la Pologne, et s’efforcent d’introduire une structure gouvernementale que la majorité des Polonais ne souhaite pas” (Schatz 1991, 107).

Le gouvernement communiste dominé par les juifs a activement cherché à relancer et à perpétuer la vie juive en Pologne (Schatz 1991, 208) de sorte que, comme dans le cas de l’Union soviétique, il n’y avait aucune espérance quant au fait que le judaïsme dépérirait sous un régime communiste. Les militants juifs avaient une «vision ethnopolitique» dans laquelle la culture laïque juive continuerait en Pologne avec la coopération et l’approbation du gouvernement (Schatz 1991, 230). Ainsi, alors que le gouvernement faisait activement campagne contre le pouvoir politique et culturel de l’Eglise catholique, la vie juive collective a prospéré dans la période d’après-guerre.

Des écoles et des publications en langue hébraïque et yidissh ont été créées, ainsi qu’une grande variété d’organisations culturelles et d’actions sociales pour les Juifs. Un substantiel pourcentage de la population juive était employé dans des coopératives économiques juives.

De plus, le gouvernement à majorité juive considérait la population juive, dont beaucoup n’avaient jamais été communistes, comme “un réservoir qui pouvait être digne de confiance et engagé dans ses efforts pour reconstruire le pays. Bien que les camarades «testés» non vieux n’étaient pas enracinés dans les liens sociaux de la la société anti-communiste, ils étaient des étrangers au regard des traditions historiques, sans liens avec l’Église catholique, et détestés par ceux qui détestaient le régime. Ainsi, ils pouvaient être “dignes de confiances et utilisés pour occuper les postes requis”(Schatz 1991, 212-213).

L’origine ethnique juive était particulièrement importante pour le recrutement du service de sécurité intérieure : La génération de communistes juifs s’est rendue compte que leur

puissance était entièrement dérivée de l’Union soviétique et qu’ils auraient à recourir à la  coercition pour contrôler une société non communiste fondamentalement hostile (p.

262). Les principaux membres du service de sécurité étaient des communistes juifs qui l’avaient été avant l’instauration du gouvernement communiste en Pogne, mais ceux-ci ont été rejoints par d’autres juifs favorables au gouvernement et étrangers à la société en général. Cela a renforcé l’image populaire des Juifs comme étant des serviteurs d’intérêts étrangers et des ennemis des Polonais ethniques (Schatz 1991, 225).

Les membres juifs de la force de sécurité intérieure semblent souvent avoir été motivés par la rage personnelle et un désir de vengeance liée à leur identité juive :

Leurs familles avaient été assassinées et l’anticommunisme clandestin était, à leur avis, essentiellement un prolongement de la même tradition antisémite et anticommuniste.

Ils haïssaient ceux qui avaient collaboré avec les nazis, et ceux qui s’opposaient au nouvel ordre, avec quasiment la même intensité, et ils savaient qu’en tant que communistes, ou en tant que communistes et juifs, ils étaient détestés au moins de la même manière. À leurs yeux, l’ennemi était essentiellement le même. Les vieilles mauvaises actions devaient être punies et de nouvelles devaient être empêchées, et une lutte sans merci était nécessaire avant qu’un monde meilleur puisse être construit. (Schatz 1991, 226). Comme dans le cas de la Hongrie après la Seconde Guerre mondiale (voir plus bas), la Pologne s’est polarisée entre un pouvoir majoritairement juif et une classe administrative soutenue par le reste de la population juive, et par la puissance militaire soviétique, rangée contre la grande majorité de la population gentile autochtone. La situation était exactement analogue dans les nombreux cas où, dans les sociétés traditionnelles, les Juifs formaient une couche intermédiaire entre une élite dirigeante étrangère, dans ce cas, les Soviétiques, et la population autochtone non-juive (voir PTSDA, chapitre 5). Cependant, ce rôle intermédiaire a fait de ces anciens étrangers un groupe d’élite en Pologne, et ces anciens champions de la justice sociale ont fait de grands efforts pour protéger leur prégoratives personnelles propres, incluant une certaine quantité d’auto-justification et d’auto-tromperie (page 261).

En effet, quand les compte-rendus d’un transfuge de l’élite,  au style de vie somptueux (par exemple, Boleslaw Bierut avait quatre villas et en utilisait cinq autres [Toranska 1987, 28]), leur  corruption, ainsi que leur rôle en tant qu’agents soviétiques, devinrent connus en 1954, il y eut des ondes de choc se propageant dans tous les échelons inférieurs du parti(page 266). Clairement, le sens de la supériorité morale et les motivations altruistes de ce groupe provenaient entièrement de leurs propres auto-tromperies.

Bien que des tentatives aient été faites pour placer un visage polonais sur ce qui était en réalité un gouvernement à majorité juive, de telles tentatives étaient limitées par le manque de Polonais dignes de confiance capables de remplir des postes dans le Parti communiste, au gouvernement et à l’administration, à l’armée et dans les forces de sécurité intérieure. Les Juifs qui avaient rompu les liens formels avec la communauté juive, ou qui avaient changé de nom pour un nom à consonance polonaise, ou qui pouvaient passer pour des Polonais en raison de leur apparence physique ou leur absence d’accent juif, voyaient leurs avancements favorisés (p.214). Quelles que soient les identités personnelles subjectives des individus recrutés dans ces postes de gouvernement, les recruteurs agissaient clairement en fonction de l’ethnie apparente de l’individu comme un signal de fiabilité, et le résultat fut que le situation correspondait à de nombreux exemples dans les sociétés traditionnelles où les Juifs et les crypto-juifs développaient des réseaux économiques et politiques de coreligionnaires :

“En plus d’un groupe de politiciens influents, trop petit pour être appelé une catégorie, il en étaient les soldats; les apparatchiks et les administrateurs; les intellectuels et idéologues; les policiers; les diplomates; et enfin, les militants du judaïsme. Il y avait aussi la masse de gens ordinaires – commis, artisans et travailleurs – dont le dénominateur commun avec les autres était une vision idéologique partagée, une histoire passée, et le mode d’aspiration ethnique essentiellement similaire” (p.226).

Il est révélateur que lorsque la domination économique et politique juive a progressivement diminué entre le milieu et la fin de années 1950, beaucoup de ces personnes ont commencé à travailler dans les coopératives économiques juives, et les Juifs purgés du service de sécurité intérieure ont été aidés par des organisations juives, finalement financées par des Juifs américains.

Il ne peut y avoir aucun doute quant à leur identité juive continue et quant à  la poursuite du séparatisme économique et culturel juif. En effet, après l’effondrement du régime communiste en Pologne, “de nombreux Juifs, dont certains sont des enfants et petits-enfants d’anciens communistes, se sont affichés au grand jour” (Antisémitisme Worldwide 1994, 115), adoptant publiquement une identité juive et renforçant l’idée selon laquelle de nombreux communistes juifs étaient en fait des crypto-juifs.

Lorsque le mouvement antisioniste et antisémite en Union Soviétique descendit vers la Pologne à la suite du changement de politique soviétique envers Israël à la fin des années 1940, il y eut une autre crise d’identité résultant de la croyance que le sémitisme et le communisme étaient incompatibles. Une des réponses fut de s’engager dans “une auto-abnégation ethnique” en faisant des déclarations niant l’existence d’une identité juive; une autre fut de conseiller aux Juifs d’adopter un profil bas. En raison de la très forte identification au système chez les Juifs, la tendance générale allait même jusqu’à justifier leur propre persécution pendant la période où les Juifs étaient progressivement éliminé de positions importantes: “Même lorsque les méthodes sont devenus étonnament douloureuses et dures, lorsque l’objectif de forcer quelqu’un à admettre des crimes non commis et d’encadrer les autres est devenu clair, et quand la perception d’être injustement traité par des méthodes qui contredisent l’ethos communiste fut mise en avant, les convictions idéologiques de base sont restées intactes. Ainsi la sainte folie a triomphé, même dans les cellules de la prison”(p.260). En fin de compte, un élement important dans la campagne anti-juive des années 1960 était l’affirmation que les communistes juifs de la génération s’opposaient à la politique du Moyen-Orient de l’Union Soviétique favorisant les Arabes.

Comme avec tous les groupes juifs à travers les âges (voir PTSDA, Ch. 3), les pogroms n’ont pas abouti à l’abandon de leur engagement de groupe même quand cela a abouti à des persécutions injustes. Au lieu de cela, cela a engendré une motivation croissante,  “une discipline idéologique inébranlable, et une obéissance confinant à l’auto-tromperie. . . Ils considéraient le parti comme la personnification collective des forces progressistes de l’histoire, et, se considérant comme ses serviteurs, ils ont exprimé une sorte spécifique de dogmatisme téléologico-déductif, de fierté révolutionnaire, et d’ambiguïté morale “(pp. 260-261).

En effet, il y a une indication selon laquelle la cohésion de groupe augmentait au fur et à mesure que les fortunes de la génération diminuaient (page 301). Comme

leur position a été progressivement érodée par un nationalisme polonais antisémite naissant,

ils sont devenus de plus en plus conscients de leur «groupement». Après leur défaite finale,

ils ont rapidement perdu toute identité polonaise qu’ils auraient pu avoir et ont rapidement assumé des identités publiquements juives, en particulier en Israël, la destination de la plupart des Juifs polonais.

 

Ils ont analysé leur ancien antisionisme comme étant une erreur et sont devenus maintenant de partisans zelés d’Israël (page 314).

En conclusion, le traitement de Schatz montre que la génération de communistes juifs et leurs partisans ethniquement juifs doit être considérée comme un groupe historiquement juif. Les éléments de preuve indiquent que ce groupe a poursuivi des intérêts juifs, en particulier leurs intérêts à sécuriser la perpétuation du groupe juif en Pologne, tout en essayant de détruire des institutions comme l’Église catholique et d’autres manifestations du nationalisme polonais qui promouvaient une cohésion sociale entre les Polonais.

Le gouvernement communiste a également combattu l’antisémitisme, et  a promu les intérêts économiques et politiques juifs. Bien que l’étendue de l’identité juive subjective au sein de ce groupe a indéniablement varié, des élements de preuve démontrent l’existence de niveaux auto-trompeurs et enfouis de l’identité juive, même parmi les plus assimilés d’entre eux. La section entière illustre la complexité de l’identification juive, et il illustre l’importance de l’auto-tromperie et de la justification comme étant des aspects centraux du judaïsme en tant que stratégie évolutionnaire de groupe (voir SAID, Chs. 7, 8). Il y avait une auto-tromperie et une justification massive concernant le rôle du gouvernement à majorité juive et de ses partisans juifs dans l’élimination des élites nationalistes non-juives; son rôle d’aversaire de la culture nationale polonaise et de l’Eglise catholique tout en construisant une culture juive laïque, de son rôle d’agent de la domination soviétique en Pologne et de son propre

succès économique tout en administrant une politique économique qui a forcé l’économie de la Pologne à  correspondre aux intérêts soviétiques, tout en exigeant de la souffrance et des sacrifices au reste de la population.

LE RADICALISME ET L’IDENTIFICATION JUIVE AUX

ÉTATS-UNIS ET EN ANGLETERRE

Dès les origines du mouvement à la fin du XIXe siècle, un fort sens de l’identification juive a également caractérisé les radicaux juifs américains (par exemple,

l’Union des commerçants juifs et la Fédération Socialiste Juive; voir Levin 1977;

Liebman 1979). Dans l’étude de Sorin (1985) sur les radicaux juifs qui ont immigré aux

États-Unis au début du XXe siècle, seulement 7% étaient hostiles à une forme de séparatisme juif. Plus de 70% “étaient imprégnés de conscience juive positive. La grande majorité a été, de manière significative, prise dans une toile entrecroisée d’institutions, d’affiliations et de formations sociales juives “(p.119).

En outre, “au maximum” 26 des 95 radicaux étaient dans les catégories “hostiles, ambivalentes, ou assimilationnistes” faites par Sorin, mais dans certains cas, sinon tous,

il s’agissait de personnes luttant, souvent de manière créative, dans le but de synthétiser de nouvelles identités »(p.115). Un thème majeur de ce chapitre est celui d’un grand nombre avéré de juifs radicaux  “déracinés” ayant des images auto-trompeuses sur leur manque d’identification juive.

Le commentaire qui suit, d’une juive radicale américaine très en vue, Emma Goldman, illustre la tendance générale :

Les pages du magazine Mère Terre qu’Emma Goldman dirigeait de 1906 à 1917 sont remplis d’histoires yiddishs, de récits du Talmud et de traduction des poèmes de Morris Rosenfeld. De plus, son engagement dans l’anarchisme ne l’a pas empêché de parler et d’écrire, ouvertement et fréquemment, des fardeaux particuliers auxquels les Juifs étaient confrontés dans un monde où l’antisémitisme était un ennemi vivant. Apparemment, la foi d’Emma Goldman dans l’anarchisme, avec son emphase sur l’universalisme, ne provenait ni ne dépendait d’un rejet de son identité juive. (Sorin 1985, 8, italique dans le texte)

Le radicalisme juif américain du XXe siècle était une sous-culture spécifiquement juive, ou une “contraculture” pour utiliser le terme d’Arthur Liebman (1979, 37).  La gauche juive américaine ne s’est jamais retirée de la communauté juive prise plus largement, et en effet, l’adhésion des Juifs dans le mouvement a fluctué en fonction de si ces mouvements se sont heurtés ou non à des intérêts spécifiquement juifs.

Fondamentalement, la vieille gauche juive, comprenant les syndicats, la presse de gauche,

et les ordres fraternels de gauche (qui étaient souvent associés à une synagogue

[Liebman 1979, 284]), faisait partie de la communauté juive de manière globale, et quand la classe ouvrière juive a décliné, des préoccupations spécifiquement juives et l’identité juive augmentaient en importance à mesure que celles des croyances politiques radicales diminuait.

Cette tendance pour les membres juifs d’organisations de gauche à se préoccuper spécifiquement d’affaires juives a augmenté après 1930, principalement en raison des écarts récurrents entre les intérêts juifs spécifiques et les causes de la gauche universaliste en

ce temps là. Ce phénomène s’est produit dans l’ensemble du spectre des organisations de gauche, y compris dans des organisations telles que le Parti communiste et le

Parti socialiste, dont les membres pouvaient également être non-juifs. (Liebman 1979, 267ff).

 

Le séparatisme juif dans les mouvements de gauche fut facilité par un aspect très traditionnel du séparatisme juif – l’utilisation d’un langage endogroupe. Le yiddish est finalement devenu très apprécié pour son effet unificateur sur le mouvement ouvrier juif et

sa capacité à cimenter les liens avec la communauté juive dans son ensemble (Levin 1977, 210; Liebman 1979, 259-260). “Les landsmans haften [clubs sociaux juifs], la presse yiddish et le théâtre. Les cafés socialistes de l’East Side, les sociétés littéraires et les fereyns,

qui faisaient si bien partie de la culture socialiste juive, ont créé un indubitable

environnement juif, que la boutique, l’union ou le parti socialiste ne pouvaient reproduire. Même l’ennemi de classe – l’employeur juif – parlait le yiddish”(Levin 1977, 210).

En effet, le programme d’éducation socialiste du “Workman’s Circle” (le

plus grand ordre fraternel juif du travail du début du XXe siècle) a échoué au début (avant 1916), en raison de l’absence de contenu yiddish et juif: “Même les parents juifs radicaux voulaient que leurs enfants apprennent le yiddish et sachent quelque chose à propos de leur peuple »(Liebman 1979, 292). Ces écoles réussirent quand elles commencèrent à inclure un programme d’études juives avec un accent sur le peuple juif. Elles continuèrent d’exister dans les années 1940 sous la forme d’écoles juives à l’idéologie socialiste, ce qui soulignait l’idée que le souci pour la justice sociale était la clé pour la survie des Juifs dans le monde moderne. Clairement, le socialisme et les politiques de gauche étaient devenues une forme de judaïsme laïque. L’organisation a été transformée dans son histoire  “par un ordre radical fraternel de travail, avec des membres juifs dans un Ordre fraternel juif avec des sentiments de gauche, et un héritage socialiste “(Liebman 1979, 295).

 

De même, la sous-culture juive tournée vers le communisme, comprenant des organisations telles que l’Ordre international des travailleurs (OIT), incluait des sections où l’on parlait yiddish. Une de ces sections, l’Ordre Fraternel des Peuples Juifs (OFPJ), était affiliée au Congrès juif américain (CJA) et a été classé par le procureur général des États-Unis comme étant une organisation subversive . Le JPFO avait 50 000 membres et était le «rempart» financier et organisationnel du CPUSA (Parti communiste américain) après la Seconde Guerre mondiale; il a également apporté un financement important au “Daily Worker” et au “Morning Freiheit” (Svonkin 1997, 166). Suivant l’accent mis à l’époque sur la compatibilité  entre communisme-radicalisme et identité juive, il a financé des programmes éducatifs pour enfants qui ont amené à une relation forte entre identité juive et préoccupations radicales. Les écoles yiddish et les camps d’été de l’OIT , qui ont continué dans les années 1960, ont mis en évidence la culture juive et même réinterprété le marxisme non pas comme étant une théorie de la lutte des classes, mais comme une théorie de la lutte pour la liberté juive  contre l’oppression. Bien que le CJA ait finalement rompu ses liens avec l’OFPJ pendant la période de la guerre froide et ait déclaré que le communisme était une menace, il était “au mieux un participant réticent et peu enthousiaste “(Svonkin 1997, 132) dans l’effort juif pour développer une image publique anti-communiste – une position reflétant les sympathies de beaucoup de ces immigrants de l’Europe de l’Est, principalement de deuxième et troisième génération, qui y  ont été membres.

David Horowitz (1997, 42) décrit le monde de ses parents qui avaient rejoint un “shul” (mot yiddish pouvant à la fois désigner une synagogue, une école ou une congrégation juives. Ici, le “shul” se rapproche plus d’un centre communautaire juif), dirigé par le parti communiste américain, et dans lequel on donnait une interprétation politique aux vacances juives. Psychologiquement, ces gens pouvaient tout aussi bien avoir été dans la Pologne du XVIIIe siècle:

Ce que mes parents avaient fait en rejoignant le Parti communiste

et en déménageant à Sunnyside, c’était retourner au ghetto. Il y avait

la même langue privée partagée, le même univers hermétiquement clos, la même double posture révélant un visage au monde extérieur et un autre à la tribu. Plus important encore, il y avait la même conviction d’être cible de persécutions, spécialement ordonnées [contre les Juifs], le sens de la supériorité morale envers le plus fort et envers les goyim à l’extérieur, plus nombreux. Et il y avait la même peur de l’expulsion pour des pensées hérétiques, ce qui était la peur qui raccrochait les élus (référence évidente au peuple élu) à leur foi.

Un fort sentiment d’appartenance au peuple juif était également une caractéristique de la presse yiddish de gauche. Ainsi, l’auteur d’une lettre envoyée au journal radical juif “Daily Forward” se plaignait du fait que ses parents non religieux étaient bouleversés parce qu’il voulait se marier avec une non-Juive. “Il a écrit au Forward sur la présomption qu’on lui témoignerait de la sympathie, pour découvrir que les rédacteurs libres-penseurs et socialistes du journal insistaient sur le fait… qu’il était impératif qu’il épouse une Juive et qu’il continue à s’identifier à la communauté juive … Ceux qui lisaient le Forward savait que la détermination des Juifs à rester juifs était au-delà de toute question et discussion”(Hertzberg 1989, 211-212). Le Forward avait dans les années 1930 la plus grand taux de tirage de tout les magazines juifs dans le monde, et a maintenu des liens étroits avec le Parti socialiste.

Werner Cohn (1958, 621) décrit le milieu général de la communauté juive immigrée [des Etats-Unis] de 1886 à 1920 comme étant “une grande société portée sur le débat radical” :

En 1886, la communauté juive de New York était devenue célèbre pour son soutien à la candidature d’Henry George, théoricien de l’impôt unique,-qui venait d’un tiers-parti : “United Labour” : Travail uni). *Aux-Etats, la très grande majorité des voix à chaque campagne électorale se porte sur deux partis : les Démocrates et les Républicains. Ce système bipartiste est entériné depuis la fin du XIXème. Les partis autres que ces deux géants récoltent des miettes à chaque élection.*

Dès lors, les quartiers juifs de New York et d’ailleurs devinrent célèbres pour leurs habitudes de vote radical. “Le Lower East Side” *quartier de New-York, dans Manhattan* a à plusieurs reprises choisi comme député Meyer London, le seul socialiste de New-York à avoir jamais été élu au Congrès. Et beaucoup de socialistes se rendant à l’Assemblée de l’État * chambre basse d’un Etat fédéral* à Albany venaient des quartiers juifs. Dans la campagne municipale de 1917, à New York, la candidature socialiste et anti-guerre de Morris Hillquit était soutenue par les voix les plus autoritaires de l’ “East Lower Side” juif : “The United Hebrew Trades (Les Syndicats juifs unis), the “International Ladies’ Garment Workers’ Union” (le syndicat des travailleurs du textile féminin à l’international) , et surtout, le très populaire “Yiddish Daily Forward”. C’était la période où les radicaux extrêmes – comme Alexander Berkman et Emma Goldman – étaient des géants dans la communauté juive, et  presque tous les géants juifs – parmi eux Abraham Cahan, Morris Hillquit, et le jeune Morris R. Cohen – étaient radicaux. Même Samuel Gompers, lorsqu’il parlait devant un auditoire juif, estimait nécessaire d’utiliser des phrases radicales.

En outre, le Freiheit, qui était un organe non officiel du Parti communiste  des années 1920 aux années 1950, “se tenait au centre des institutions prolétariennes et de la sous-culture yiddishs … [qui offraient] une identité, un sens, une amitié et une compréhension »(Liebman 1979, 349-350). Le journal a perdu un soutien considérable dans la communauté juive en 1929 quand il amena le Parti communiste à s’opposer au sionisme, et dans les années 1950, il dut essentiellement choisir entre satisfaire son âme juive ou son statut d’organe communiste. Choisir le premier, à la fin des années 1960,  justifiait de ne pas retourner les territoires occupées par les  israéliens en opposition à la ligne du Parti communiste américain.

 

La relation entre juifs et Parti communiste américain est particulièrement intéressante car le parti a souvent adopté des positions anti-juives, notamment en raison de sa collaboration renforcée avec l’Union soviétique.  À partir de la fin des années 1920, les Juifs ont joué un rôle très important dans le parti communiste américain (Klehr 1978, 37ff). Cependant, ne citer que des pourcentages [sur le nombre] de dirigeants juifs n’indique pas correctement l’étendue de l’influence juive, parce que cela ne tient pas compte des caractéristiques personnelles des radicaux juifs en tant que groupe talentueux, éduqué et ambitieux (voir p. 5, 95-96), mais aussi parce que des efforts ont été faits pour recruter des non-Juifs comme “vitrine” afin de cacher l’étendue de la domination juive (Klehr 1978, 40, Rothman & Lichter 1982, 99).

Lyons (1982, 81) cite un communiste non-Juif qui a dit que beaucoup de non-Juifs de la classe ouvrière ont estimé qu’ils ont été recrutés afin de «diversifier la composition ethnique du parti.” L’informateur raconte son expérience en tant que représentant des non-Juifs

lors d’une conférence de jeunesse, soutenue par les communistes :

 

Il est devenu de plus en plus évident pour la plupart des participants que pratiment tous les intervenants étaient des juifs new-yorkais. Des intervants avec des forts accents  de New York s’identifiaient comme étant «délégué du Lower East Side “ou”  “camarade de

Brownsville.” Finalement, la direction nationale a demandé une pause, pour discuter de ce qui était en train de devenir un embarras. Comment une prétendue organisation étudiante nationale pouvait-elle être à ce point dominé par des Juifs new-Yorkais ? Finalement, ils se sont résolus à  intervenir et à remédier à la situation en demandant au caucus de New York de donner aux “Out-of-towners” (littéralement “ceux en dehors de la ville”) une chance de parler. La convention fut tenue à Wisconsin.

Klehr (1978, 40) estime que de 1921 à 1961, les Juifs constituaient 33,5% des membres du Comité central, et la représentation des Juifs était souvent au-delà de 40% (Klehr 1978, 46). Les Juifs étaient le seul groupe ethnique natif du pays (les Etats-Unis)à partir duquel le parti fut capable de recruter. Glazer (1969, 129) déclare que dans les années 1950, au moins la moitié des membres du Parti communiste américain, soit environ 50 000, étaient juifs, et que le taux de roulement était très élevé; donc il se peut que le nombre d’individus concernés dans le parti ait été 10 fois supérieur, et qu'”un nombre égal ou plus grand [d’individus] ait été des socialistes d’une sorte ou d’une autre. “Ecrivant dans les années 1920, Buhle (1980, 89) note que “la plupart de ceux favorables au parti et au Freiheit ne l’ont tout bonnement pas rejoint – pas plus de quelques milliers pour un nombre 100 fois plus grand de partisans”.

Ethel et Julius Rosenberg, qui ont été reconnus coupables d’espionnage pour l’Union soviétique, témoignent du puissant sens de l’identification juive parmi de nombreux Juifs de gauche. Svonkin (1997, 158) montre qu’ils se considéraient comme des juifs martyrs. Comme beaucoup d’autres gauchistes juifs, ils ont perçu un lien étroit entre judaïsme et leurs sympathies communistes. Leur correspondance de prison, selon les mots d’un critique, était rempli d’un «étalage continu de judaïsme et de judéité, “incluant le commentaire selon lequel” dans quelques jours, la célébration de Pâques, où notre peuple à rechercher la liberté, sera ici. Ce patrimoine culturel

a une signification supplémentaire pour nous, qui sont emprisonnés loins les uns des autres et nos proches qui le sont par les pharaons modernes “(pp. 158-159). (Embarrassée par les auto-aveuglements des Rosenberg en tant que martyrs juifs, l’Anti-Defamation League (équivalent américain de la Licra), a interprété les professions de judéité de Julius Rosenberg comme une tentative d’obtenir “tous les avantages possibles de la foi qu’il avait répudiée” [Svonkin 1997, 159] – un autre exemple des nombreuses tentatives révisionnistes, certaines relatés dans ce chapitre, pour rendre identification juive  et radicalisme politique incompatibles, et ainsi complètement obscurcir un chapitre chapitre de l’histoire juive).

Comme dans le cas de l’Union soviétique dans ses premières années, le Parti communiste américain avait des sections distinctes en fonction des  différents groupes ethniques, y compris une fédération juive de langue yiddish. Lorsque celles-ci furent abolis en 1925 dans le but de développer un parti qui ferait appel aux Américains autochtones (qui avaient tendance à avoir un faible niveau de conscience ethnique), il y a eu un exode massif de Juifs du parti, et beaucoup de ceux qui sont restés ont continué à participer à une sous-culture yiddish officieuse au sein du parti.

Dans les années suivantes, le soutien juif au Parti communiste américain (PCA) a augmenté et diminué en fonction

du soutien du parti pour des préoccupations spécifiquement juives. Au cours des années 1930, le PCA a

changé sa position et a pris grand soin de faire appel à des intérêts juifs spécifiques, y compris un foyer primaire contre l’antisémitisme, en soutenant le sionisme et finalement Israël, et en préconisant l’importance du maintien des traditions culturels juives. Comme en Pologne, pendant cette période, “le mouvement radical américain glorifiait le développement de la vie juive en Union Soviétique. . . L’Union Soviétique était la preuve vivante que sous le socialisme la question juive pouvait être résolue “(Kann

1981, 152-153). Le communisme était ainsi perçu comme étant «bon pour les Juifs».

Malgré de problèmes temporaires causés par le pacte de non-agression germano-soviétique de 1939,

le résultat fut la fin de l’isolement de la communauté juive du PCA pendant la Seconde Guerre mondiale et les premières années d’après-guerre.

Fait intéressant, les Juifs qui sont restés au sein du parti pendant la période du pacte de non-agression ont fait face à un conflit difficile entre les loyautés divisées, démontrant que l’identité juive était toujours importante pour ces individus. le pacte de non-agression a provoqué beaucoup de tentatives de justification chez les membres Juifs du PCA, impliquant souvent une tentative d’interprétation des actions de l’Union soviétique

comme profitant aux intérêts juifs – clairement une indication que ces individus n’avaient pas abandonné leur identité juive. D’autres ont continué à être membres mais se sont silencieusement opposés à la ligne du parti en raison de leurs loyautés juives.

L’une des grandes peurs de tous ces individus était que le pacte de non-agression détruise leur relation avec la communauté juive de manière globale.

Au moment de la création d’Israël en 1948, une partie de l’attraction des Juifs pour le PCA était dûe à son soutien à Israël à une époque où Truman était en train de faire des laïus sur le problème [sans chercher à le résoudre]. En 1946, le PCA a même adopté une résolution préconisant la perrénité du peuple juif en tant qu’entité ethnique au sein des sociétés socialistes. Arthur Liebman décrit les membres du PCA pendant cette période comme étant exaltés en raison de congruence de leurs intérêts juifs et de leur appartenance au parti. Des sentiments de communalité avec la communauté juive plus globale ont été exprimées, et il y avait un sentiment accru de judéité résultant des interactions avec d’autres Juifs

Au sein du PCA. Pendant l’après-guerre, on attendait et on encourageait “les Juifs communistes  à être des juifs, à se lier aux Juifs et à penser au peuple juif et à la culture juive sous un jour positif. En même temps, les Juifs non-communistes, à quelques exceptions notables [dans la gauche juive non communiste] … acceptaient leurs références juives et étaient d’accord pour travailler avec eux dans un contexte tout à fait juif “(Liebman 1979, 514). Comme cela est arrivé si souvent dans l’histoire juive, cette recrudescence de l’identité juive a été facilitée par la persécution des Juifs, dans ce  cas, de l’Holocauste.

Cette période de compatibilité facile entre intérêts juifs et intérêts du PCA s’évanouit après 1948, en particulier en raison de la position soviétique modifiée sur Israël et des révélations d’antisémitisme d’Etat, en Union soviétique et en Europe de l’Est. Beaucoup de Juifs ont abandonné le PCA en conséquence. Encore une fois, ceux qui restèrent au PCA avaient tendance à justifier l’antisémitisme soviétique d’une manière qui leur ont permis de maintenir leur identification juive. Certains ont vu les persécutions comme une aberration et le résultat d’une pathologie individuelle plutôt que

la faute du système communiste lui-même. Ou l’Occident a été blâmé comme étant indirectement responsable. De plus, les raisons de rester au PCA apparaissent avoir typiquement impliqué un désir de rester dans la sous-culture yiddish et communiste auto-gérée. Liebman (1979, 522) décrit un individu qui a finalement démissionné lorsque les preuves sur l’antisémitisme soviétique sont devenues écrasantes:

“En 1958, après plus de 25 ans au parti communiste, ce chef a démissionné et développé une forte identité juive qui englobait une loyauté féroce pour Israël. “Alternativement, les membres juifs du PCA n’ont tout simplement pas réussi à adopter une ligne de parti, comme cela s’est produit sur la question du soutien à Israël pendant les guerres de 1967 et 1973. Finalement, il y avait pratiquement une division complète entre Juifs du PCA.

 

La description de Lyons (1982, 180) d’un club judéo-communiste à Philadelphie

révèle l’ambivalence et l’auto-tromperie qui se sont produites lorsque les intérêts juifs se sont heurtés aux sympathies communistes:

 

“Le club fait face à une tension croissante sur la judéité, en particulier en ce qui concerne Israël. Au milieu des années soixante, le conflit a éclaté lors de la décision du club de critiquer le traitement soviétique des Juifs. Certains des membres du club orthodoxe pro-soviétique ont démissionné; d’autres n’étaient pas d’accord mais sont restés. Pendant ce temps, le club a continué à changer, devenant moins marxiste et plus sioniste. Pendant la guerre du Moyen-Orient de 1967, “nous sommes devenus dogmatiques pour une semaine” (cette guerre, qui opposa Israël à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie, ne dura en effet que 6 jours”), comme le dit Ben Green, un des meneurs du club. Ils n’ont autorisé aucune discussion sur le pourquoi de leur soutien pour Israël, mais ils ont simplement recueilli des fonds pour montrer leur plein soutien. Néanmoins, plusieurs membres insistent sur le fait que le club n’est pas sioniste et s’engage dans un “soutien critique” d’Israël.

Comme dans le cas de la Pologne, il y a toutes les raisons de penser que les communistes juifs considéraient l’URSS comme satisfaisant généralement les intérêts juifs, au moins jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À partir des années 1920, le PCA a été soutenu financièrement par l’Union Soviétique, a adhéré étroitement à ses prises de positions, et s’est engagé dans un effort d’espionnage réussi contre les États-Unis au nom de l’Union soviétique, incluant le vol de secrets atomiques (Klehr, Haynes & Firsov 1995). Dans les années 1930, les Juifs «constituaient une majorité substantielle de membres du Soviet clandestin aux Etats-Unis “et près de la moitié des individus poursuivis en vertu de la loi Smith de 1947 (Rothman & Lichter 1982, 100).

Bien que tous les fonctionnaires du parti n’aient peut-être pas connu en détail la relation spéciale avec l’Union soviétique, le «travail spécial»  faisait partie intégrante de la mission communiste aux États-Unis, ce qui était bien connu et discuté ouvertement au Bureau politique du PCA… C’était ces communistes ordinaires dont la vie démontre que certains membres de la base étaient prêts à servir l’URSS en espionnant leur propre pays. Là, d’autres communistes américains y allèrent, à la condition de ne pas être interrogé . Le PCA fit un panégyrique de l’URSS, le présentant comme la terre promise. Dans la propagande communiste, la survie de l’Union soviétique en tant qu’étoile brillante et éclatante de l’humanité était un refrain constant, comme dans le poème communiste américain de 1934 qui décrivait l’Union soviétique comme «un paradis. . . apporté sur terre en Russie. “(Klehr et al., 1995, 324) Klehr et al. (1995, 325) suggèrent que le PCA a eu des effets importants sur l’histoire des États-Unis. Sans excuser les excès du mouvement anti-communiste, ils notent que «le côté étrange et particulier de l’anticommunisme américain ne peut être séparé de l’allégeance du PCA à l’Union Soviétique;  de la croyance selon laquelle le fait que les communistes américains furent déloyaux est ce qui a rendu le problème communiste si puissant et parfois toxique”.

Les communistes ont menti et trompé les New Dealers avec qui ils étaient alliés. Ces gauchistes qui croyaient les dénégations ont ensuite dénoncé comme bourreaux les anti-communistes qui se plaignaient d’une activité communiste cachée. Furieux contre les dénégations  de ce qu’ils savaient être vrai, les anti-communistes ont alors soupçonné que ceux qui ont nié la présence communiste étaient eux-mêmes malhonnêtes. La duplicité des communistes a empoisonné les relations politiques normales et contribué à la dureté de la réaction anticommuniste de la fin des années 1940 et 1950. (Klehr et al., 1995, 106)

 

La défense gauchiste du communisme à l’époque de la guerre froide soulève également des problèmes lié à ce volume. Nicholas von Hoffman (1996) note le rôle de

défenseurs gauchistes du communisme pendant cette période, tels que les éditeurs de “The New Republic” et l’historien de Harvard Richard Hofstadter (1965) qui a attribué

le souci contemporain de l’infiltration communiste du gouvernement américain

au “style paranoïaque de la politique américaine.” (Rothman et Lichter [1982, 105] incluent “The New Republic” parmi un groupe de publications gauchistes et radicales

avec une grande présence d’écrivains et d’éditeurs juifs.) La version officielle de gauche

était de dire que les communistes américains étaient sui generis (c’est à dire sont devenus communistes d’eux-mêmes) et déconnectés de l’ Union soviétique, donc qu’il n’y avait pas de menace communiste intérieure. Les gauchistes s’étaient drapés de positions intellectuelles et morales élévés pendant cette période. Les partisans de McCarthy ont été considérés comme des primitifs intellectuels et culturels: “Dans le kulturkampf divisant la société, les élites d’Hollywood, de Cambridge et les think-thank gauchistes avaient peu de sympathie pour les hommes aux jambes arquées, avec leurs casquettes de la Légion américaine et leurs grosses femmes, leurs jappements sur Yalta et la forêt de Katyn. Catholiques et kitschs, regardant à travers leurs baies vitrées leurs troupeaux de flamants roses en plastique, leurs angoisses et leurs politiques étrangères de classes moyennes/inférieures était trop profondément basses (on pourrait traduire ici par “mesquines”) pour être prises au sérieux »(von Hoffman 1996, C2).

Cependant, en plus d’empoisonner l’atmosphère de la politique intérieure, l’espionnage communiste  a également eu des effets sur la politique étrangère :

Il est difficile de surestimer l’importance de l’espionnage atomique  dans la formation de l’histoire de la guerre froide. La Seconde Guerre mondiale avait fini avec les Américains confiants dans le fait que la bombe atomique leur  donnait un monopole sur l’arme ultime, un monopole qu’ils espéraient voir durer dix à vingt ans. L’explosion soviétique d’une bombe nucléaire en 1949 a détruit ce sentiment de sécurité physique. L’Amérique avait combattu dans deux guerres mondiales sans souffrir de sérieuses pertes civiles ou de destruction. Il fit désormais face à un ennemi conduit par un impitoyable dictateur qui pouvait anéantir une ville américaine avec une seule bombe.

Si le monopole nucléaire américain avait duré plus longtemps, Staline

aurait pu refuser aux communistes nord-coréens l’autorisation de déclencher la guerre de Corée, ou les communistes chinois auraient pu hésiter à intervenir dans la guerre. Si le monopole nucléaire américain  avait duré jusqu’à la mort de Staline, la restriction de l’ agressivité soviétique aurait pu faire apaiser les années les plus dangereuses

de la guerre froide. (Klehr et al., 1995, 106)

La “contraculture” juive a continué à soutenir une sous-culture radicale, spécifiquement juive, dans les années 1950 – longtemps après que la grande majorité des Juifs ne sont plus

dans la classe ouvrière (Liebman 1979, 206, 289ff). Les institutions et les familles  fondamentalement juifs qui constituaient la vieille gauche se sont déplacés ensuite dans la nouvelle gauche (Liebman 1979, 536ff). L’impulsion originelle du mouvement de protestation étudiante des années 1960  “a presque nécessairement commencé avec les rejetons de l’intelligentsia relativement aisée, de gauche, de manière disproportionnée juive- soit le plus grand bassin de ceux disposés idéologiquement  à sympathiser avec l’action de la population des étudiants radicaux “(Lipset 1971, 83, voir aussi Glazer 1969). Flacks (1967, 64) a montré que 45% des étudiants impliqués dans une manifestation à l’Université de Chicago étaient Juifs, mais son échantillon original a été “ajusté” pour obtenir un meilleur équilibre ”

(Rothman & Lichter 1982, 82). Les Juifs constituaient 80% des étudiants ayant signé une pétition pour mettre fin à ROTC (Reserve Officers’ Training Corps, ou Corps d’entraînement des officiers de réserve, est une organisation militaire chargée de l’entrainement des officiers de réserve des forces armées des États-Unis) à Harvard et 30-50% des étudiants en faveur d’une société démocratique (SDS) – l’organisation centrale des étudiants radicaux.

Adelson (1972) a constaté que 90% de son échantillon d’étudiants radicaux à la

L’Université du Michigan était composé de Juifs, et il semblerait que ce même taux de

la participation est susceptible d’avoir été semblable dans d’autres écoles, telles que celles du Wisconsin et du Minnesota. Braungart (1979) a constaté que 43% des membres du SDS dans son échantillon de dix universités avait au moins un parent juif et un autre 20% n’avait aucune appartenance religieuse. Ces derniers sont plus susceptibles d’être principalement Juif: Rothman et Lichter (1982, 82) ont trouvé que “l’écrasante majorité” des étudiants radicaux qui ont prétendu que leurs parents étaient athées avaient des origines juives.

Les Juifs avaient aussi tendance à être les leaders les plus médiatisés des manifestations dans les campus (Sachar 1992, 804). Abbie Hoffman, Jerry Rubin et Rennie Davis ont atteint une renommée nationale en tant que membres du groupe “Chicago Seven” reconnu coupable de franchissement de frontières d’Etat [fédéral] avec intention d’inciter à une émeute à la Convention nationale démocratique de 1968. Cuddihy (1974, 193ff) note la sous-intrigue ouvertement ethnique du procès, en particulier les luttes intestines entre l’accusé Abbie Hoffman et le juge Julius Hoffman, le premier représentant les enfants de la génération d’immigrants de l’Europe de l’Est qui tendaient vers le radicalisme politique, et le second, représentant l’établissement germano-juif, plus ancien et plus assimilé. Pendant

le procès, Abbie Hoffman railla le juge Hoffman en yiddish avec des phrases comme “Shande fur de Goyim “(honte pour les gentils) – traduit par Abbie Hoffman en ” Homme de paille pour l’élite du pouvoir WASP. “Hoffman et Rubin (qui ont passé du temps ensemble dans un

Kibboutz en Israël) avaient de fortes identifications juives et une antipathie pour l’établissement protestant et blanc. Cuddihy (1974, 191-192) attribue également les origines du mouvement Yippie (mouvement politique hippie radical) aux activités du journaliste infiltré Paul Krassner (rédacteur au “The Realist”, un journal «audacieux, scatologique, curieusement apolitique», “à la satire irrévérencieuse et au reportage impoli”) et à la sensibilité contre-culturelle du comédien Lenny Bruce.

En tant que groupe, les étudiants radicaux venaient de familles relativement aisées,

tandis que les étudiants conservateurs avaient tendance à venir de familles moins aisées

(Gottfried 1993, 53). Le mouvement a donc été lancé et dirigé par une élite,

mais il ne visait pas à faire avancer les intérêts de classe syndiquée pauvre-moyenne. En effet, la Nouvelle Gauche considérait la classe ouvrière comme étant «grosse, satisfaite et

conservatrice, et leurs syndicats représentaient cela »(Glazer 1969, 123)

 

En outre, bien que des formes modérées d’antisémitisme juif et de rébellion contre l’hypocrisie parentale ait eu lieu parmi les radicaux juifs de la Nouvelle-Gauche, le modèle prédominant était une continuité avec l’idéologie parentale (Flacks 1967; Glazer 1969, 12; Lipset 1988, 393; Rothman & Lichter 1982, 82). (De même, pendant la république de Weimar, les radicaux de l’école de Francfort ont rejeté les valeurs commerciales de leurs parents, mais n’ont pas personnellement rejeté leur famille. En effet, leurs familles avaient tendance à leur apporter un soutien moral et financier dans leurs activités politiques radicales [Cuddihy 1974, 154].) Beaucoup de ces «bébés à couches rouges» (de l’anglais “Red diaper babies”. Désignait les enfants de parents américains sympathisants du PCA) venaient de “familles qui autour de la table du petit déjeuner, jour après jour, à Scarsdale, Newton, Great Neck, et Beverly Hills ont discutaient de ce qui était horrible, corrompu, immoral, antidémocratique et raciste dans la société aux États-Unis. Beaucoup de parents juifs vivent dans des banlieues très blanches, vont en hiver à Miami Beach , sont membres de coûteux country clubs (Un country club est un club  privé, qui nécessite souvent une adhésion, où l’on peut pratiquer toutes sortes de divertissements, dont une grande partie sont des sports tels que le tennis, l’équitation, le golf et le polo) et participent à des événements mondains., organisent des Bar Mitzvahs coûtant des milliers de dollars – tout en épousant une idéologie libérale de gauche »(Lipset 1988, 393). Comme indiqué ci-dessus, Glazer (1969) estime qu’environ un million de Juifs étaient membres

du PCA ou étaient socialistes avant 1950. Le résultat était que parmi les Juifs, il y avait «un important réservoir de parents contemporains pour qui la radicalité de leurs enfants n’est pas quelque chose de choquant et d’étrange mais peut bien être vu comme un moyen d’accomplir les meilleurs désirs de leurs parents »(Glazer 1969, 129).

 

De plus, “l’establissement juif américain n’a jamais vraiment pris ses distances vis-à-vis

de ces jeunes Juifs” (Hertzberg 1989, 369). En effet, des organisations de l’établissement juif

internationales, tels que l’AJCongress, les Congrégations pour l’Union des Juifs américains (un groupe de réforme laïc) et le Conseil américain de la synagogue (Winston 1978), étaient les premiers opposants de la guerre au Vietnam. Les attitudes anti-guerre des organisations juives officielles peuvent avoir entraîné quelque antisémitisme. Le président Lyndon Johnson aurait été “dérangé par le manque de soutien à la guerre du Vietnam dans la communauté juive américaine au moment où il prend de nouvelles mesures pour aider Israël “(Winston 1978, 198), et l’ADL prit des mesures pour faire face à un réaction anti-juive violente, qu’ils s’attendaient voir se produire suite à la tendance des Juifs à être des rapaces sur des questions militaires liées à Israël et des colombes sur des questions militaires liées au Vietnam (Winston 1978).

Comme avec la vieille gauche, beaucoup de la nouvelle gauche juive s’identifiaient fortement en tant que  Juifs (Liebman 1979, 536ff). Les offices de Hanoucca furent tenues et le “Hatikva”

(l’hymne national israélien) a été chanté lors d’un important sit-in à Berkeley

(Rothman & Lichter 1982, 81). La nouvelle gauche a perdu des membres juifs quand elle défendit des positions incompatibles avec des intérêts juifs spécifiques (en particulier ceux concernant Israël) et a attiré des membres lorsque ses positions coïncidaient avec ces intérêts Liebman 1979, 527ff). Les dirigeants passaient souvent du temps ensemble au kibboutz en Israël, et il y a une certaine indication quant au fait que les “nouveaux gauchistes” avaient consciemment tenté de minimiser les signes plus évidents de l’identité juive et de minimiser la discussion des problèmes sur lesquels nouveaux gauchistes juifs et non juifs seraient en désaccord, en particulier sur Israël.

Finalement, l’incompatibilité des intérêts juifs et de la nouvelle gauche a abouti

à un abandon de la Nouvelle Gauche chez la plupart des juifs , avec beaucoup |de Juifs]partant en Israël rejoindre les kibboutzim, ou s’impliquant dans des pratiques religieuses juives plus traditionnelles, ou dans des organisations de gauche avec une identité spécifiquement juive.

Après la guerre des Six Jours de 1967, le problème le plus important pour la nouvelle gauche juive était Israël, mais le mouvement a également travaillé pour le compte des Juifs soviétiques et demandé des programmes d’études juives dans les universités (Shapiro 1992, 225). Comme l’activiste de la SDS, Jay Rosenberg, l’écrivait : «À partir de maintenant, je ne rejoindrai aucun mouvement qui n’accepte pas et ne soutient pas la lutte de mon peuple. Si je dois choisir entre  la cause juive et un progressiste» SDS anti-israélien je choisirai la cause juive.

Si des barricades sont érigées, je me battrai en tant que Juif “(in Sachar 1992, 808).

 

Les juifs furent aussi une composante essentielle de l’acceptation publique du Nouveau

La gauche. Les Juifs étaient surreprésentés parmi les radicaux et leurs partisans dans les

les médias, l’université, et la communauté intellectuelle de manière générale, et les sciences sociales de la gauche juive ont joué un rôle de meneurs de la recherche qui dépeignait le radicalisme  étudiant sous un jour positif (Rothman & Lichter 1982, 104). Cependant, dans leur

revue récente de la littérature de la Nouvelle Gauche, Rothman et Lichter (1996, ix, xiii) notent une tendance continue à ignorer le rôle des Juifs dans le mouvement et, lorsque le rôle juif est mentionné, il est attribué à l’idéalisme juif ou à d’autres attributs positivement évalués. Cuddihy (1974, 194n) note que les médias ont complètement ignoré les luttes intestines juives qui ont eu lieu au cours du procès des “Chicago Seven”  (Les 7 de Chicago. Il s’agissait de 7 meneurs juifs d’une manifestation à Chicago,accusés de conspiration et d’incitation à la révolte, parmi de nombreuses charges. Ils furent finalement acquittés). Il décrit également plusieurs évaluations du procès, écrit par des Juifs, dans les médias (New York Tunes, New York Post, Village Voice) qui ont excusé le comportement des accusés et ont félicité leur avocat juif radical, William Kunstler.

Enfin, un flux et reflux d’attraction juive pour le communisme, dépendant de sa convergence avec des intérêts spécifiquement juifs, a eu également lieu en Angleterre.

Pendant les années 1930, le Parti communiste a fait appel aux Juifs en partie parce qu’il était

le seul mouvement politique qui était anti-fasciste. Il n’y avait pas aucun conflit

entre forte identité ethnique juive et le fait d’être membre du Parti communiste: “La sympathie communiste parmi les Juifs de cette génération avait à ce sujet certaines des qualités d’une identification de groupe, un moyen, peut-être, d’auto-affirmation ethnique “(Alderman 1992, 317-318). Dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale, pratiquement tous les candidats politiques communistes  ayant réussi [avaient tenus des discours] devant des salles juives. Cependant, le soutien juif au communisme a diminué avec la révélation de l’antisémitisme de Staline, et de nombreux Juifs ont quitté le Parti communiste après la crise du Moyen-Orient de 1967, lorsque l’URSS a rompu les relations diplomatiques avec Israël (Alderman 1983, 162).

La conclusion doit être que l’identité juive était généralement perçue comme

hautement compatible avec la politique radicale. Quand la politique radicale est entrée en conflit avec des intérêts juifs spécifiques, les Juifs ont finalement cessé d’être radical, bien qu’il y avait souvent des cas d’ambivalence et de tentatives de justification.

PROCESSUS D’IDENTITÉ SOCIALE, INTÉRÊTS DE GROUPE PERÇUS COMME ETANT JUIFS,

ET RADICALISME JUIF

Une partie du radicalisme juif met l’accent sur la base morale du judaïsme. C’est encore un autre exemple de tentative de présenter le judaïsme comme un mouvement universaliste,

moralement supérieur – le thème de” lumière des nations” qui a sans cesse émergé comme un aspect de l’auto-identité juive depuis l’Antiquité et surtout depuis le siècle des Lumières (SAID, Ch. 7). Ainsi, Fuchs (1956, 190-191) suggère que l’implication juive dans les causes de gauche découle de la nature morale unique du judaïsme en ce qu’il promeut la charité envers les pauvres et les nécessiteux. L’implication dans ces causes est considérée comme une simple extension des pratiques religieuses juives traditionnelles.

De même, Hertzberg (1985, 22) parle de «l’écho d’une sensibilité morale unique,

une volonté d’agir au mépris de l’intérêt économique lorsque la cause semble juste. ”

Comme indiqué dans PTSDA (chapitres 5, 6), tout indique que la préoccupation juive pour les pauvres et les nécessiteux était confinée dans les groupes juifs, et en réalité, les Juifs ont souvent “servi” comme étant des élites dirigeantes oppressives dans les sociétés traditionnelles et dans celles de l’après-guerre, en Europe de l’Est. Ginsberg (1993, 140) décrit ces motivations humanistes putatives comme “un peu fantaisiste”, et note que dans différents contextes (notamment dans l’Union Soviétique post-révolutionnaire) les Juifs ont servi “d’agents impitoyables de coercition et de terreur”, ayant en particulier eu une très importante implication dans la police secrète soviétique de la période post-révolutionnaire, dans les années 1930 (voir aussi Baron 1975, 170, Lincoln 1989, Rapoport 1990, 30-31).

De même, nous avons vu que les Juifs étaient omniprésents dans les forces de sécurité intérieure en Pologne (voir Schatz 1991, 223-228) et en Hongrie (Rothman & Lichter 1982,89).

Pipes (1993, 112) théorise le fait que bien qu’il soit «indéniable» que les Juifs furent

surreprésentés dans le parti bolchevik, ainsi que dans le premier gouvernement soviétique et dans les activités révolutionnaires communistes en Hongrie, en Allemagne et en Autriche dans une période s’étalant de 1918 à 1923, les Juifs étaient également surreprésentés dans une variété d’autres domaines, y compris les affaires, l’art, la littérature et la science. En conséquence, Pipes fait valoir que leur représentation disproportionnée dans les mouvements politiques communistes ne devrait pas être une interrogation. Pipes associe cet argument à l’affirmation selon laquelle les bolcheviks ne s’identifiaient pas en tant que Juifs – un enjeu, qui, comme nous l’avons vu, est, au mieux, discutable.

Cependant, même en admettant que ces communistes ethniquement juifs ne s’identifiaient pas en tant que Juifs, un tel argument ne parvient pas à expliquer pourquoi ces Juifs “dé-ethnicisée” (ainsi que les hommes d’affaires , les artistes, les écrivains et les scientifiques juifs) auraient du être généralement surreprésentés dans les mouvements de gauche et sous-représentés dans les mouvements nationalistes, populistes et autres types de mouvements politiques de droite. Même si les mouvements nationalistes sont antisémites, comme cela a souvent été le cas, l’antisémitisme leur devrait être indifférent si ces individus sont en effet complètement dé-éthnicisés comme le suggère Pipes. La prépondérance juive dans les professions exigeant une grande intelligence n’est en aucun cas un argument pour comprendre leur rôle très important dans les mouvements communistes et autres mouvements  de gauche et leur sous-représentation relative dans les mouvements nationalistes.

La théorie de l’identité sociale fournit une perspective assez différente du radicalisme juif. Il souligne que les intérêts de groupe perçus comme étant juifs sont essentiels au comportement politique juif, et que ces intérêts perçus de groupe sont de manière importante influencés par les processus d’identité sociale. Si en effet une politique radicale aboutissait à un fort sentiment d’identification avec un endogroupe juif, alors limplication juive dans ces mouvements seraient associés à des conceptions très négatives et exagérées envers la société non-juive dans sa globalité, et en particulier, les éléments les plus puissants  de cette société, en tant que groupe extérieur. En conformité avec cette attente,

Liebman (1979, 26) utilise le terme «contraculture» pour décrire la Gauche américaine juive parce que “le conflit ou l’antagonisme envers la société est une caractéristique de cette sous-culture et … beaucoup de ses valeurs et modèles culturels sont en contradiction avec celles qui existent dans la société environnante. “Par exemple, la Nouvelle Gauche était fondamentalement impliquée dans la critique sociale radicale par laquelle tous les éléments qui ont contribué à la cohésion du tissu social de l’Amérique du milieu du siècle

étaient considérés comme oppressifs et nécessitaient une modification radicale.

 

L’accent mis ici sur les processus d’identité sociale est compatible avec le radicalisme juif au service des groupes d’intérêts perçus comme étant juifs. L’antisémitisme et les intérêts économiques juifs étaient sans aucun doute des facteurs de motivation importants pour expliquer le gauchisme juif en Russie tsariste. Les leaders juifs dans les sociétés occidentales, dont beaucoup étaient de riches capitalistes, ont fièrement reconnu la surreprésentation juive dans le mouvement révolutionnaire russe; ils ont également fourni un soutien financier et politique à ces mouvements en essayant par exemple d’influencer la politique étrangère des États-Unis(Szajkowski 1967). Cette déclaration du financier Jacob Schiff  représente bien cette attitude : “l’affirmation selon laquelle parmi les rangs de ceux qui, en Russie, cherchent à miner l’autorité gouvernementale, il y a une considérable nombre de Juifs, est peut-être être vraie. En fait, il serait plutôt surprenant que certains de ceux qui sont ont été si terriblement affligés par la persécution et par des lois exceptionnelles ne se soient pas enfin retournés contre leurs oppresseurs impitoyables” (Szajkowski 1967, 10).

En effet, au risque de trop simplifier, on pourrait noter que l’antisémitisme et l’adversité économique combinée à l’explosion démographique juive en Europe de l’Est fut d’une importance critique quant à la production en grand nombre de radicaux juifs mécontents, et par conséquent, quant à l’influence suprême du radicalisme juif en Europe et sa propagation aux États-Unis. Les populations juives d’Europe de l’Est avaient le taux le plus élevé d’augmentation naturelle de toute les populations européennes au XIXe siècle, avec une augmentation naturelle de 120 000 personnes par an dans les années 1880 et une augmentation globale dans l’Empire russe de 1 à 6 millions de personnes au cours du dix-neuvième siècle (Alderman 1992, 112; Frankel 1981, 103; Lindemann 1991, 28-29, 133-135). Malgré l’émigration de près de 2 millions de Juifs aux États-Unis et ailleurs, de nombreux Juifs d’Europe de l’Est étaient appauvries au moins en partie à cause de politiques antisémites tsaristes qui empêchaient la mobilité sociale juive.

En conséquence, un grand nombre de Juifs ont été attirés par des solutions politiques radicales qui transformeraient la base économique et politique de la société et serait également compatible à la perpétuation du judaïsme. A l’intéérieur des communautés juives russes, l’acceptation de l’idéologie politique radicale coexistait souvent avec des formes messianiques du sionisme ainsi qu’avec un engagement intense envers le nationalisme juif et le séparatisme religieux et culturel, et de nombreuses personnes  supportait divers combinaisons, souvent changeant rapidement, de ces idées. (voir Frankel 1981).

Le fanatisme religieux et les attentes messianiques furent une réponse typiquement juive aux persécutions antisémites à travers l’histoire (par exemple, Scholem 1971; PTSDA, ch. 3). En effet, on pourrait supposer que les formes messianiques du radicalisme peuvet être considérés comme des formes laïques de cette réponse juive à la persécution, différentes des formes traditionnelles seulement en ce qu’elles promettent également un futur utopique pour les gentils également. L’image globale rappelle la situation à la fin de l’Empire ottoman, où, du milieu du XVIIIe siècle jusqu’à l’intervention des puissances européennes au XXe siècle, il y avait «un situation indubitable de pauvreté extrême, d’ignorance et d’insécurité »(Lewis 1984, 164) dans un contexte de niveaux élevés d’antisémitisme qui empêchait dans les faits la mobilité sociale juive. Ces phénomènes ont été accompagnés par

la prévalence de la mystique et d’un style de parentalité à faible fécondité et à faible investissement parmi les Juifs. À long terme, la communauté est devenue trop pauvre pour assurer l’éducation de la plupart des enfants, avec comme résultat le fait que la plupart étaient analphabètes et exerçaient des professions demandant seulement une intelligence et une formation limitées.

Cependant, lorsque confrontée à des possibilités d’évolution de mobilité sociale, la stratégie passe rapidement à une stratégie reproductive à faible fécondité et à investissement élevé.

Dans l’Allemagne du XIXème siècle par exemple, les Juifs ont été le premier groupe à

faire partie de la transition démographique et à profiter des opportunités de hausse de leur mobilité sociale, en ayant moins d’enfants (par exemple, Goldstein 1981, Knode 1974). En même temps, les Juifs pauvres en Europe de l’Est, sans espoir d’hausse de leur mobilité sociale, se mariaient plus tôt que leurs homologues d’Europe occidentale, qui retardaient leur mariage afin d’être mieux préparés financièrement (Efron 1994, 77). Et la résurgence des

Juifs ottomans au XIXe siècle, issus du patronage et de la protection des Juifs d’Europe occidentale, a apporté avec elle un épanouissent d’une culture très instruite, comprenant des écoles laïques fondées sur des modèles occidentaux (voir Shaw 1991, 143ff, 175-176). De même, lorsque les Juifs d’Europe de l’Est opprimés ont émigré aux États-Unis, ils développèrent une culture d’investissement élevé, une culture de faible fécondité

qui prenait avantage des opportunités de hausse de la mobilité sociale. L’hypothèse est de dire que le  modèle global de la réponse juive au manque de possibilités de mobilité sociale ascendante et à l’antisémitisme consiste à adopter de manière facultative un style reproductif à faible investissement et à forte fécondité, combiné à un plan idéologique comprenant diverses formes de messianisme, incluant, à l’époque moderne, l’idéologie politique radicale.

En fin de compte, cette explosion démographique, dans le contexte de la pauvreté et de restrictions politiques imposées aux Juifs, fut responsable de la déstabilisation générale des effets du radicalisme juif sur la Russie jusqu’à la révolution. Ces conditions eurent aussi des retombées en Allemagne, où les attitudes négatives envers les immigrées “Ostjuden” (juifs de l’Est en allemand) ont contribué à l’antisémitisme de l’époque (Aschheim 1982). Aux États-Unis, le but de ce chapitre(the point of this chapter en anglais. Je n’arrive pas à traduire) est qu’un haut niveau d’inertie caractérisait les croyances politiques radicales détenues par un grand nombre d’immigrants juifs et par leurs descendants, dans le sens où les croyances politiques radicales ont persisté même dans l’absence de conditions économiques et politiques oppressives. Dans l’étude de Sorin (1985, 46) sur les immigrants juifs, activistes radicaux en Amérique, plus de la moitié avait été impliqué dans la politique radicale en Europe avant d’émigrer, et pour ceux ayant immigré après 1900, le pourcentage a augmenté de 69%. Glazer (1961, 21) note que les biographies de presque tous les leaders radicaux montrent qu’ils avaient des accointances avec des idées politiques radicales en Europe. La persistance de ces croyances

influença la sensibilité politique générale de la communauté juive et avait un effet déstabilisant sur la société américaine, allant de la paranoïa de la période McCarthyste, au triomphe de la révolution contre-culturelle des années 1960.

L’immigration des Juifs d’Europe de l’Est en Angleterre après 1880 a eu un

effet de transformation similaire sur les attitudes politiques de la communauté juive britannique dans la direction du socialisme, le syndicalisme et le sionisme, souvent combinés à une orthodoxie religieuse et un attacheùent à un style de vie traditionnel hautement séparatiste (Alderman 1983, 47ff). “Etait beaucoup plus significatif que la poignée de socialistes juifs avides de publicité, en Russie et en Angleterre, qui organisaient

pique-niques pour le jeûne de Yom Kippour, le Jour des Expiations, la masse de Juifs de la classe ouvrière qui n’a pas connu de conflit interne quand ils réparaient la synagogue, pour les services religieux trois fois par jour, puis utilisaient les mêmes locaux pour discuter des principes socialistes et organiser des grêves »(Alderman 1983, 54). Comme aux États-Unis, la communauté immigrée juive d’Europe de l’Est a démographiquement submergé la communauté juive préexistante, et que la communauté plus vieille a réagi avec inquiétude à cet afflux, à cause de la possibilité d’une augmentation de l’antisémitisme . Et comme aux États-Unis, des tentatives ont été faites par la communauté juive établie pour dénier la prévalence des idées politiques radicales parmi les immigrants (Alderman 1983, 60, SAID, Ch. 8).

Néanmoins, les intérêts économiques ne sont pas toute l’histoire. Alors que l’origine du

radicalisme politique répandu chez les Juifs peut être caractérisé comme étant une réponse typique juive à l’adversité politique et économique de la fin du XIXème siècle  en Europe de l’Est, l’idéologie politique radicale s’est dissociée des variables démographiques habituelles peu de temps après son arrivée aux États-Unis, et c’est ce phénomène qui nécessite un autre type d’explication. Dans l’ensemble, les Juifs américains avaient beaucoup moins de raisons que d’autres groupes ethniques de souhaiter un renversement du capitalisme parce qu’ils avaient tendance à être relativement économiquement privilégiés. Les enquêtes des années 1960 et 1970 ont indiqué que les Juifs de la classe moyenne étaient plus radicaux que les Juifs de la classe ouvrière – un modèle opposé à celui des étudiants radicaux juifs (Rothman et Lichter 1982, 117, 219; 88 Levey 1996, 375 89). Des pourcentages inférieurs de Juifs que les membres d’autres religions croyaient que soutenir un candidat démocrate promouverait leurs intérêts économiques, mais les juifs avaient néanmoins tendance à voter démocrate (Liebman 1973, 136-137).

 

Le fossé entre intérêts économiques et idéologie politique date au moins des années 1920 (Liebman 1979, 290ff). En effet, pour toute la période s’étalant de 1921 à 1961, les Juifs du Comité central du PCA avaient beaucoup plus de chance de venir de la classe moyenne, et  tendance à avoir plus d’éducation, que leurs collègues non-juifs (Klehr 1978, 42ff). Ils avaient aussi beaucoup plus de chance d’avoir rejoint [le parti communiste]avant les difficultés économiques lors de la Grande Dépression.

En outre, comme indiqué ci-dessus, les étudiants radicaux de la “New Left” venaient de manière disproportionnée de familles hautement instruites et riches (voir aussi Liebman 1973, 210).

Même les capitalistes juifs prospères ont eu tendance à adopter des croyances politiques à la gauche des croyances de leurs homologues non-juifs. Par exemple, les capitalistes judéo-allemands au XIXe siècle “avaient tendance à occuper des positions distinctement à la “gauche” de leurs pairs Gentils, et ainsi, [tendance] à se mettre à l’écart de ceux-ci ” (Mosse 1989, 225). Bien qu’en tant que groupe, ils eurent tendance à être à la droite de la population juive dans son ensemble, quelques-uns sont allés jusqu’à soutenir le Parti social-démocrate et son programme socialiste. Parmi les raisons plausibles expliquant cette situation, suggérées par Mosse, il y a celle disant que l’antisémitisme avait tendance à être associé à la Droite allemande. Conformément à la théorie de l’identité sociale, les capitalistes juifs ne se sont pas identifiés aux groupes qui les percevaient négativement, et aux groupes qui s’opposaient à un exogroupe, considéré comme hostile. Les processus d’identité sociale et leurs influences sur la perception des intérêts ethniques (de groupe) plutôt que sur des intérêts économiques personnels semblent être primordiaux ici.

L’association entre juifs et attitudes politiques de gauche est donc indépendante des associations habituelles à la démographie. Dans un passage qui montre que l’éloignement culturel et ethnique juif supplante les intérêts économiques pour expliquer le comportement politique juif, Silberman (1985, 347-348) parle de l’attrait des Juifs pour “le parti démocrate … avec son hospitalité traditionnelle pour les groupes ethniques non WASP … Un économiste distingué qui était en total désaccord avec les politiques économiques de Mondale [candidat à la présidence Walter]  vota toutefois pour lui. “J’ai regardé les conventions à la télévision”, a t-il expliqué, «et les républicains ne ressemblaient pas à mon type de personnes».

Une réaction semblable a conduit de nombreux juifs à voter pour Carter en 1980 malgré leur aversion pour lui : «Je préfère vivre dans un pays gouverné par les visages que j’ai vus à la convention démocrate que par ceux que j’ai vu à la convention républicaine” me dit «un auteur célèbre”.

L’idée est que, en général, la motivation politique juive est influencée par des questions non économiques liées aux intérêts de groupe  perçus comme juifs, ceux-ci étant influencés par les processus d’identité sociale. De même, dans la zone politiquement chargée des attitudes culturelles, Silberman (1985, 350) note que les “Juifs américains sont engagés en faveur de la tolérance culturelle en raison de leur croyance – fermement ancrée dans l’histoire – selon laquelle les juifs ne sont en sécurité que dans une société qui accepte un large éventail d’attitudes et comportements, ainsi qu’une diversité de groupes religieux et ethniques. C’est cette croyance, par exemple, et non  l’approbation de l’homosexualité, qui mène une majorité écrasante des Juifs américains à endosser les «droits des homosexuels» et à adopter une position de gauche sur d’autres problèmes prétendument «sociaux». »Un groupe d’intérêt, perçu comme étant juif , en faveur du pluralisme  culturel, transcende les attitudes personnelles négatives concernant le comportement en question.”

La réflexion de Silberman selon laquelle les attitudes juives sont “fermement enracinées dans l’histoire” est particulièrement pertinente : une tendance constante a consisté pour les Juifs à être persécuté en tant que groupe minoritaire au sein d’une société culturellement ou ethniquement homogène. Une discussion sur le pluralisme politique, religieux et culturel comme étant une motivation très rationnelle chez les Juifs américains sera mis en évidence dans le chapitre 7, qui traite de l’implication juive dans l’élaboration de la politique immigrationniste des États-Unis. Le point ici est que l’intérêt de groupe perçu comme juif dans le développement d’une société pluraliste est de loin de plus grande importance que le simple intérêt économique pour déterminer le comportement politique des Juifs. De même, Earl Raab (1996, 44) explique le comportement des Juifs en politique par des problématiques de [leur] sécurité, liées en partie à un souvenir continu du parti républicain comme étant lié au fondamentalisme chrétien, et au fait d’être “résolument nativiste et anti-immigré”. Le fait de soutenir le Parti démocrate est donc un aspect du conflit ethnique entre les Juifs et une partie de la population caucasienne d’origine européenne aux États-Unis, ce que ne ne sont pas les questions économiques. En effet, les questions économiques semblent n’avoir aucune pertinence, étant donné que le soutien au Parti démocrate chez les Juifs ne diffère pas du statut social (Raab 1996, 45).

Néanmoins, il existe des preuves que le récent comportement éléctoral des Juifs sépare de plus en plus le libéralisme économique traditionnel de gauche des questions liées au pluralisme culturel, à l’immigration et à la séparation entre l’Église et l’État. Les sondages récents et les données sur les habitudes de vote juifs indiquent que les Juifs continuent à voir l’extrême-droite du Parti républicain comme “une menace pour le cosmopolitisme américain” parce qu’il est perçu comme préconisant une culture chrétienne homogène et s’opposant à

l’immigration (Beinart 1997, 25)”. Cependant, les électeurs juifs étaient plus favorables à des politiques budgétaires conservatrices et moins favorables aux tentatives du gouvernement de redistribuer la richesse, autant pour les Afro-Américains que pour d’autres Américains blancs.

Le comportement politique juif récent est donc intéressé à la fois par l’économie et par son opposition aux intérêts ethniques des Américains blancs pour développer une ethnie et une société culturellement homogène.

En plus de la poursuite d’intérêts spécifiques du groupe, cependant, le processus d’identité sociale semble être une contribution indépendante de la tentative d’explication du comportement politique juif. Le processus d’identité sociale semble être nécessaire pour expliquer pourquoi le mouvement ouvrier juif était beaucoup plus radical que le reste du mouvement ouvrier américain. Dans un passage qui indique le profond sens de l’identité juive et du séparatisme chez les radicaux juifs, ainsi que leur antipathie complète pour l’ordre social non-juif dans son entier, Levin (1977, 213) note que «leurs idées socialistes … créént un fossé entre eux-mêmes et d’autres travailleurs américains qui ne sont pas intéressés par des changements radicaux dans l’ordre social. Bien que les syndicats juifs aient rejoint l’AFL, ils ne se sont jamais sentis idéologiquement chez eux, car l’AFL n’a pas recherché une transformation radicale de la société, ni n’avait une vision internationaliste. ” Nous avons également noté que la Nouvelle gauche a complètement abandonné les objectifs et les intérêts de la classe moyenne et inférieure, une fois que ce groupe a essentiellement atteint ses objectifs sociaux avec le succès du mouvement syndical.

Encore une fois, il y a la forte suggestion que la critique sociale et les sentiments de l’éloignement culturel ont chez les Juifs  des racines psychologiques profondes qui vont bien au-delà d’intérêts économiques ou politiques particuliers. Comme indiqué au chapitre 1, un élément psychologique primordial  semble impliquer une antipathie très profonde envers tout ordre social dominé par les gentils, qui est considéré comme antisémite – le désir de “vengeance malveillante” affirmé par Disraeli a rendu tant de Juifs “odieux et si hostiles à l’humanité”. Rappelons nous de la description de Recall Lipset (1988, 393)  des familles juives qui, autour de la table du petit-déjeuner, jour après jour, à Scarsdale, Newton, Great Neck, et Beverly Hills disaient ô combien aux Etats-Unis la société est horrible, corrompue, immorale, antidémocratique et raciste. “Ces familles se perçoivent clairement comme distincts de la culture globale aux États-Unis; ils voient également dans les forces conservatrices une tentative de maintenir cette culture malveillante. Comme dans le cas du judaïsme traditionnel vis-à-vis de la société gentile, la culture traditionnelle des États-Unis – et en particulier la base politique de conservatisme culturel qui a été historiquement lié à l’antisémitisme – est perçu comme une manifestation d’un exogroupe évalué négativement.

Cette antipathie envers la société dominée par les gentils s’accompagnait souvent d’un puissant désir de venger les maux de l’ancien ordre social. Pour beaucoup de juifs de la Nouvelle  Gauche, “la révolution promet de venger les souffrances et de redresser les torts, qui, depuis si longtemps, ont été infligés aux Juifs avec la permission ou encouragement, jusqu’au commandement, des autorités dans les sociétés pré-révolutionnaires »(Cohen 1980, 208). Des interviews de  radicaux juifs de la Nouvelle Gauche ont révélé que beaucoup avaient des fantasmes de destruction, dans lesquels la révolution se traduirait par “l’humiliation, la dépossession, l’emprisonnement ou l’exécution des oppresseurs” (Cohen 1980, 208), combiné à la croyance en leur propre omnipotence et en leur capacité à créer un ordre social non oppressif – des découvertes qui rappellent

le rôle motivant de la vengeance de l’antisémitisme chez les forces de sécurité dominés par les Juifs dans la Pologne communiste, comme discuté ci-dessus. Ces résultats sont également entièrement compatible avec mon expérience parmi les militants juifs de la Nouvelle Gauche à l’Université du Wisconsin dans les années 1960 (voir note 13).

La perspective de l’identité sociale prédit que des attributions négatives généralisées envers l’exogroupe seraient accompagnés d’attributions positives concernant l’endogroupe juif. Les communistes juifs de Pologne et les radicaux juifs de la nouvelle gauche avaient un puissant sentiment de supériorité culturelle qui était dans la continuité des conceptions traditionnelles juives sur la supériorité de leur endogroupe (Cohen 1980, 212; Schatz 1991, 119). Les auto-conceptualisations juives de leur activité dans le développement d’une culture antagoniste aux États-Unis ayant  tendance à montrer soit le juif comme étant une victime historique de l’antisémitisme gentil soit le Juif comme étant un héros moral, mais “dans les deux cas, le portrait est l’opposé de celui [dressé par] l’antisémite. Les Juifs manquent de verrues [personnages les représentant péjorativement]. Leurs motifs sont purs, leur idéalisme authentique »(Rothman & Lichter 1982, 112).

Les recherches effectuées par des sociologiques juifs  sur les radicaux juifs ont tendu à qualifier gracieusement le radicalisme juif de «libre choix d’une minorité douée» (Rothman & Lichter 1982, 118) lorsque les explications économiques ont échoué – encore un autre exemple

où le statut de groupe juif semble affecter la recherche en sciences sociales d’une manière qui serve les intérêts du groupe juif.

De plus, une idéologie utopiste universaliste comme le marxisme est un moyen idéal pour servir les tentatives juives de développer une identité auto-positive, tout en conservant encore leur identité positive en tant que Juifs et leur évaluation négative des structures de pouvoir des Gentils.

Premièrement, la nature utopique de l’idéologie radicale par rapport aux systèmes sociaux existants dominés par les gentils (qui sont  inévitablement loin d’être parfaits) facilite le développement d’une identité positive pour l’endogroupe. L’idéologie radicale facilite ainsi le développement d’une identité positive pour l’endogroupe et un sens de rectitude morale en raison de son plaidoyer en faveur des principes éthiques universalistes. Les psychologues ont trouvé qu’un sens de la rectitude morale est une composante importante de l’estime de soi (par exemple, Harter 1983), et l’estime de soi a été vu comme étant un facteur de motivation dans les processus d’identification sociale (SAID, chapitre 1).

Comme ce fut également le cas pour la psychanalyse, les mouvements politiques de gauche ont développé des accents rédempteurs et messianiques hautement propices à la fierté et à la loyauté de l’endogroupe. Les membres du Bund juif russe et leur progéniture aux États-Unis avaient une intense  fierté personnelle et un sentiment puissant qu’ils faisaient partie d’une avant-garde morale et politique pour un grand changement historique. Ils avaient une mission qui les a inspiré eux et les gens qui y croyaient »(Liebman 1979, 133).

Ce sentiment de fierté de l’endogroupe et de ferveur messianique est sans aucun doute la caractéristique fondamentale du judaïsme dans toutes les époques historiques. Comme le note Schatz (1991, 105) dans sa description des révolutionnaires communistes juifs clandestins en Pologne

pendant l’entre-deux-guerres : “le mouvement faisait partie d’une lutte internationale, mondiale, qui n’avait pour but rien de moins que le changement profond des fondements de la société humaine. L’effet conjoint de cette situation fut un sentiment spécifique de solitude révolutionnaire et de la mission révolutionnaires, une cohésion intense, un sentiment de la fraternité et la disponibilité au sacrifice personnel sur l’autel de la lutte.

Reflétant la structure sociale juive traditionnelle, ces groupes radicaux juifs étaient hiérarchiques et très autoritaires, et ils ont développé leur propre language privé (Schatz 1991, 109-112). Comme dans le judaïsme traditionnel, l’étude permanente et l’auto-éducation étaient considérées comme des caractéristiques très importantes du mouvement :

Etudier était un point d’honneur et une obligation »(p.117). Les discussions reproduisaient les méthodes traditionnelles de l’étude de la Torah: la mémorisation de longs passages  du texte, combiné à de l’analyse et de l’interprétation, effectuées dans une atmosphère de concurrence intellectuelle intense tout à fait analogue au traditionnel “pilpoul”. De la bouche d’un novice à ces discussions, “Nous nous sommes comportés comme des yeshiva bukhers [des étudiants] et eux [les mentors intellectuels les plus expérimentés] comme des rabbins »(p.139).

Comme attendu, sur la base de la théorie de l’identité sociale, il y avait aussi un haut niveau de réflexion endogroupe-exogroupe, caractérisé par un sentiment élevé de rectitude morale parmi l’endogroupe, allié à une hostilité implacable et un rejet de l’exogroupe. Dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, les communistes judéo-polonais parlaient du nouveau plan économique  “en termes vraiment mystiques. C’était un plan scientifiquement conçu et infaillible qui restructurerait totalement les relations sociétales et préparerait le pays au socialisme »(Schatz 1991, 249). Les difficultés économiques qui frappèrent la population ont simplement fait déplacer leurs espoirs dans l’avenir, tout en développant «une attitude intransigeante envers ceux qui pourraient ne pas être disposés à accepter les difficultés du présent et une hostilité sans merci envers ceux qui sont perçus comme des ennemis. Ainsi, la volonté brûlante de produire une harmonie générale et du bonheur était liée à la méfiance et la suspicion à l’égard de ses objets et une haine envers ses adversaires réels, potentiels ou imaginaires »(p.250).

De toute évidence, être révolutionnaire communiste nécessitait de développer un engagement intense envers un groupe autoritaire et cohésif qui valorisaient les réalisations intellectuelles et montraient une haine intense contre les ennemis et les exogroupes,

tout en ayant des sentiments très positifs envers un endogroupe considéré comme moralement et intellectuellement supérieur. Ces groupes fonctionnaient comme des minorités assiégées qui voyaient la société environnante comme étant hostile et menaçante. Être membre d’un tel groupe exigeait beaucoup de sacrifices personnels et même d’altruisme. Tout ces attributs peuvent être trouvés en tant que caractéristiques définissant plus les groupes juifs traditionnels.

D’autres preuves de l’importance des processus d’identité sociale peuvent être trouvées dans la suggestion de Charles Liebman (1973, 153ff) selon laquelle l’idéologie universaliste de gauche permet aux Juifs de subvertir les classifications sociales traditionnelles dans lesquelles les Juifs sont

vu en termes négatifs. L’adoption de telles idéologies par les Juifs est une tentative de surmonter les sentiments juifs d’aliénation “par les racines et les traditions de la société [non-juive] “(p.153). “Le Juif continue sa recherche d’une éthique ou d’un ethos qui soit non seulement universel ou capable d’universalité, mais qui constitue une avant-garde contre les traditions plus anciennes de la société, une recherche dont l’intensité est

aggravée et renforcée par le traitement des Juifs par les Gentils “(Liebman 1973, 157). De telles tentatives de subversion des catégorisations sociales négatives imposées par un exogroupe sont un aspect central de la théorie de l’identité sociale (Hogg & Abrams 1988; voir SAID, Ch. 1).

L’idéologie universaliste fonctionne ainsi comme une forme laïque du judaïsme.

Les formes sectaires du judaïsme, entendus comme “stratégie de survie” (Liebman 1973, 157), sont rejetées,  à cause de leur tendance à générer de l’antisémitisme, de leur manque d’attrait intellectuel dans le monde suivant le siècle des Lumières, et de leur inefficacité à faire appel aux Gentils et ainsi, modifier le monde social non-juif d’une manière qui favorise les Intérêts du groupe juif. En effet, alors que l’idéologie universaliste est formellement conforme aux idéaux des Lumières, le maintien du traditionnel séparatisme juif et les schémas d’association entre ceux qui épousent l’idéologie suggérent la présence de tromperie ou d’auto-tromperie : Les Juifs préfèrent se réunir avec d’autres Juifs pour promouvoir

ostensiblement des entreprises non juives (ce qui aide à l’approbation juive), puis prétendre que tout cela n’a rien à voir au fait d’être juif. Mais ce type d’activité est le plus répandu parmi les Juifs qui sont les plus éloignés de leurs propres traditions, et donc plus préoccupés par la recherche d’une valeur qui soutient l’acceptation juive sans détruire ouvertement les liens de groupe entre Juifs. (Liebman 1973, 159)

L’idéologie universaliste permet donc aux Juifs d’échapper à leur aliénation ou à l’éloignement de la société non-juive tout en permettant le maintien d’une forte identité juive. Les institutions qui favorisent les liens de groupe entre les Gentils (comme le nationalisme et les associations religieuses traditionnelles des Gentils) sont activement combattus et subvertis, tandis que l’intégrité structurelle du séparatisme juif est

maintenue. Un fil cohérent de la théorisation radicale depuis Marx a été la peur que le nationalisme pourrait servir de ciment social qui pourrait aboutir à un compromis entre les classes sociales et aboutir à un ordre social hautement unifié, fondé sur des relations hiérarchiques mais harmonieuses entre les classes sociales existantes. C’est seulement ce type d’organisation sociale non-juive hautement cohésive qui est fondamentalement en contradiction avec le judaïsme en tant que stratégie d’évolution de groupe (voir chapitres 5, 7, 8). Tant la vieille gauche que la nouvelle, comme nous l’avons noté, ont activement tenté de renverser la la cohésion de la structure sociale gentile, y compris en particulier le modus vivendi accompli entre les entreprises et les syndicats dans les années 1960. Et nous avons vu que le gouvernement communiste polonais dominé par les Juifs a fait campagne contre le nationalisme polonais, et qu’ils ont fait campagne contre le pouvoir politique et culturel

de l’Église catholique, principale force de cohésion sociale dans la société polonaise traditionnelle.

Finalement, comme le soulignent Rothman et Lichter (1982, 119), le marxisme est particulièrement attrayant, car base d’une idéologie qui subvertit les catégorisations sociales négatives du groupe non juif, parce que dans une telle idéologie, la catégorisation Juifs/non-Juifs devient moins importante tandis que la cohésion et le séparatisme du groupe juif peuvent persister: “En adoptant des variantes de l’idéologie marxiste, les Juifs nient la réalité des différences culturelles ou religieuses entre Juifs et Chrétiens. Ces différences deviennent «épiphénoménales»

comparé à l’opposition plus fondamentale entre travailleurs et capitalistes. Ainsi, les Juifs et les non-Juifs sont vraiment des frères sous la peau. Même sans adopter une position marxiste, de nombreux Juifs tendirent à des positions environnementalistes radicales, ce qui remplit une fonction similaire »(p.119).

Une telle stratégie prend tout son sens du point de vue de la théorie de l’identité sociale : Une conclusion cohérente dans la recherche sur le contact intergroupe est que rendre moins importantes les catégories sociales qui définissent les groupes diminuerait la différenciation intergroupe

et faciliterait les interactions sociales positives entre les membres de différents groupes (Brewer et Miller, 1984; Doise et Sinclair, 1973; Brewer & Edwards 1985). A l’opposé, l’acceptation d’une idéologie universaliste par les Gentils conduirait les Gentils à ne pas percevoir les Juifs comme provenant d’une catégorie sociale différente, tandis que les Juifs seraient néanmoins en mesure de maintenir un forte identité personnelle en tant que Juifs.

Ces caractéristiques du radicalisme juif constituent ensemble une analyse très convaincante du rôle des processus d’identité sociale dans ce phénomène. Le dernier mécanisme est particulièrement intéressant en tant qu’analyse, à la fois de la tendance de la surreprésentation politique des Juifs dans les causes radicales et à la fois de la tendance juive à adopter des idéologies environnementalistes radicales, ce qui fut remarquée comme étant une caractéristique commune des sociologues juifs, dans le chapitre 2. L’analyse suggère que les Juifs impliqués dans ces mouvements intellectuels sont engagés dans un processus subtil de tromperie des Gentils (et, peut-être, d’auto-tromperie), et que ces mouvements fonctionnement essentiellement comme une forme de crypto-judaïsme.

Dans le langage de la théorie de l’identité sociale, une idéologie est créée, dans laquelle la catégorisation sociale du juif-gentil est minimisée en importance, et il n’y a aucune attribution négative concernant l’appartenance à un groupe juif. L’importance de

l’appartenance à un groupe ethnique est minimisée en tant que catégorie sociale et, en raison de son manque d’importance, l’intérêt ethnique propre aux non-Juifs est fondamentalement mal orienté parce qu’il ne reconnaît pas la priorité du conflit de classes entre non-Juifs. Les Juifs peuvent rester Juifs parce qu’être Juif n’est plus important. Dans le même temps, les institutions traditionnelles de cohésion sociale de

la société gentile sont subvertis et la société gentile elle-même est considérée comme imprégnée par des conflits d’intérêts entre classes sociales plutôt que par des rencontres d’intérêt et des sentiments de solidarité sociale entre les différentes classes sociales.

Rothman et Lichter (p.133ff) soutiennent leur argument en notant que l’adoption des idéologies universalistes est une technique commune parmi les groupes minoritaires, dans un large éventail de cultures à travers le monde. Malgré le vernis de l’universalisme, ces mouvements ne sont certainement pas assimilationnistes, et en réalité, Rothman et Lichter considèrent l’assimilation, définie comme une absorption complète et une perte d’identité de groupe minoritaire, comme étant une alternative à l’adoption de mouvements politiques universalistes.Les idéologies universalistes peuvent être des écrans de fumée qui facilitent en réalité l’existence de stratégies de groupe tout en favorisant le déni

de leur importance pour les membres de l’endogroupe et de l’exogroupe. Le judaïsme en tant que stratégie de groupe cohésive et centrée sur l’ethnie, est en mesure de continuer à exister, mais dans un état cryptique ou semi-cryptique.

Corroborant cette perspective, Levin (1977, 105) déclare : «L’analyse de Marx [du judaïsme en tant que caste] a donné aux penseurs socialistes un moyen facile – d’ignorer ou de minimiser le problème juif. “En Pologne, le parti communiste dominé par les Juifs a décrier la participation des ouvriers et des paysans dans les pogroms antisémites durant les années 1930, parce que ces personnes n’agissaient pas au nom de leurs intérêts de classe (Schatz 1991, 99), une interprétation selon laquelle les conflits ethniques résultaient du capitalisme et prendront fin après la révolution communiste. Une raison pour laquelle il y avait si peu d’antisémitisme au sein du mouvement social-démocrate à la fin du XIX è siècle en Allemagne était que la théorie marxiste expliquait tous les phénomènes sociaux. Les  sociaux-démocrates “n’avaient pas besoin de l’antisémitisme, une autre théorie globale, pour expliquer les événements de leur vie »(Dawidowicz 1975, 42). Les sociaux-démocrates (et

Marx) n’ont jamais analysé le judaïsme en tant que nation ou en tant que groupe ethnique, mais en tant que communauté religieuse et économique (Pulzer 1964, 269).

En théorie donc, l’antisémitisme et les autres conflits ethniques disparaîtraient avec l’avènement d’une société socialiste. Il est possible qu’une telle interprétation ait effectivement servi à réduire l’antisémitisme dans certains cas. Levy (1975, 190) suggère que l’antisémitisme a été minimisé dans la circonscription électorale ouvrière non-juive des sociaux-démocrates allemands par les activités des chefs de partis et les théoriciens socialistes qui ont dépeint les problèmes politiques et économiques de ce groupe en termes de conflit de classe plutôt qu’en conflit juif/non-juif, et se sont activement opposés à toute coopération avec des partis antisémites.

Trotsky et d’autres Juifs dans le parti travailliste socialiste-démocrate russe se considéraient comme représentant du prolétariat juif au sein du

mouvement socialiste pris dans sa globalité (voir note 4), mais ils étaient opposés au programme séparatiste et nationaliste du Bund juif russe. Arthur Liebman (1979, 122-123) suggère que ces socialistes assimilationnistes ont consciemment conceptualisé une société postrevolutionnaire dans laquelle le judaïsme existerait, mais avec une diminution de son importance sociale: “Pour eux, la solution ultime du problème juif serait

une société socialiste internationaliste qui ne prêtrait aucune attention aux distinctions entre les Juifs et non-juifs. Pour hâter l’établissement d’une telle société, il est devenu nécessaire, de l’avis de ces socialistes assimilationnistes, que les Juifs considèrent que les distinctions ethniques et religieuses entre eux et les non-juifs ne soient pas pertinentes. ”

De même, après la révolution, “ayant abandonné leurs propres origines et leur identité, mais n’ayant toujours pas trouvé, partagé, ou être pleinement admis dans la vie russe (sauf dans le monde politicien), les bolcheviks juifs ont trouvé leur socle idéologique dans l’universalisme révolutionnaire. Ils rêvaient d’une classe sans classe et apatride société soutenue par la foi marxiste, et d’une doctrine qui transcenderait les particularités et les fardeaux de l’existence juive »(Levin 1988, 49). Ces individus, avec de nombreux ex-bundistes très nationalistes, ont fini par

administrer des programmes liés à la vie nationale juive en Union soviétique.

Apparemment, bien qu’ils aient rejeté le séparatisme juif radical des Bundistes comme des sionistes, ils ont envisagé la continuité de la vie nationale juive laïque en Union soviétique (par exemple, Levin 1988, 52).

Cette croyance en l’invisibilité du judaïsme dans une société socialiste peut aussi être trouvé parmi les radicaux juifs américains. Les socialistes juifs américains des années 1890, par exemple, envisagèrent une société dans laquelle la race ne jouait aucun rôle (Rogoff 1930,115), un projet  dans dans lequel les Juifs et les non-Juifs resteraient apparemment dans leurs sphères privées, dans un mouvement de travailleurs fondé sur leur classe sociale. En l’espèce, même ce niveau d’assimilation n’a pas été atteint; ces organisateurs travaillèrent dans un milieu complètement juif

et maintenèrent des liens forts avec la communauté juive. “Leurs actions continuaient à être en désaccord avec leur idéologie. Plus ils s’engagaient profondément dans le domaine de l’organisation des travailleurs juifs, plus ils insistaient bruyamment sur leur universalisme socialiste “(Liebman 1979, 256-257).

Le fossé entre la rhétorique et la réalité suggère fortement l’importance de la tromperie et de l’auto-tromperie dans ces phénomènes. En effet, ces syndicalistes socialistes n’ont jamais abandonné leur rhétorique universaliste, mais ils ont activement résisté à l’intégration de leurs syndicats dans le mouvement ouvrier américain en général, même après que le déclin du yiddish parmi leurs membres les a laissés sans aucune excuse pour ne pas le faire. Au sein des syndicats, ils se sont engagés dans une politique ethnique visant à maintenir leur propre groupe ethnique au pouvoir (Liebman 1979, 270ff), des actions manifestement en contradiction avec la rhétorique socialiste. En fin de compte, l’attachement de beaucoup de ces individus au socialisme a décliné et a été remplacé par un fort sentiment d’appartenance ethnique et communautaire juive (Liebman 1979, 270). Le résultat fut que le vernis ou l’universalisme couvrait un séparatisme continuel entre intellectuels juifs radicaux et organisateurs politiques.

[Les intellectuels Gentils] ne sont vraiment pas totalement acceptés, même pour la compagnie de leurs amis juifs d’autrefois, les plus libéraux, humanistes et laïques. Les juifs continuent d’insister de manière indirecte et souvent inexplicable sur leur propre singularité. L’universalisme juif dans les relations entre juifs et non-juifs a une bague vide …

Pourtant, nous avons l’anomalie des  juifs laïcs et athées qui écrivent leurs propres livres de prière. Nous trouvons des réformateurs politiques juifs rompant avec leurs partis locaux, ce qui démontre une vision ethnique de la politique, et qui poursuit ostensiblement des objectifs politiques universalistes – tout en organisant leurs propres clubs politiques qui sont si juifs dans le style et la manière que les non-juifs s’y sentent souvent malvenus. (Liebman 1973, 158).

L’universalisme peut ainsi être considéré comme un mécanisme de perpétuation juive cryptique ou semi-cryptique. Le radical Juif est invisible aux yeux des Gentils dans son apparence juive et évite par conséquent l’antisémitisme, tout en conservant secrètement son Identité juive Lyons (1982, 73) constate que “la plupart des communistes juifs portent leur judéité de manière très désinvolte, mais l’expériencent profondément. Ce n’est pas une judéité religieuse ni même institutionnelle pour la plupart; néanmoins, elle est enracinée dans une sous-culture d’identité, de style, de langage, et de réseau social … En fait, cette judéité de deuxième génération  était antiethnique et pourtant un sommet d’ethnicité. L’empereur croyait

qu’il était vêtu d’un costume américain transethnique, mais les Gentils ont vu les nuances et les détails de son ethnie nue.”

Ces remarques indiquent un élément cryptique – une disjonction auto-aveuglante entre personnes privées et publiques – “une double posture révélant un visage au monde extérieur et un autre à la tribu “(Horowitz 1997, 42). Mais cette pose a un coût. Comme le note Albert Memmi (1966, 236), “le juif de gauche doit payer cette protection par sa modestie et son anonymat, son manque apparent de préoccupation pour tous

qui se rapporte à son propre peuple … Comme le pauvre qui entre dans une famille de la classe moyenne, ceuxèci exigent qu’il ait au moins le bon goût de se rendre invisible.” En raison de la nature de leur propre idéologie, les Juifs de gauche étaient forcés de ne pas mettre en avant les problématiques spécifiquement juives, telles que l’Holocauste et Israël, malgré leur forte identification en tant que Juifs (Wisse 1987). C’est justement cette caractéristique des mouvements intellectuels juifs de gauche qui sont les plus répulsifs pour les Juifs ethniquement engagés (voir, par exemple, Wisse 1987).

L’identification ethnique était souvent une auto-tromperie inconsciente. Lyons (1982, 74) constate que parmi son échantillon de communistes juifs américains, les preuves de l’importance de l’ethnicité en général, et de la judéité en particulier, imprègnent les archives disponibles. Beaucoup de communistes, par exemple, affirment qu’ils n’auraient jamais pu épouser un conjoint qui n’était pas un gauchiste. Quand les Juifs ont été invités à répondre s’ils auraient pu épouser des Gentils, beaucoup hésitaient, surpris par la question, et trouvaient difficile de répondre. Après réflexion,

beaucoup ont conclu qu’ils avaient toujours pris leur mariage avec quelqu’un de juif pour acquis. L’alternative n’a jamais vraiment été considérée,

particulièrement parmi les hommes juifs.

De plus, il y a eu des tentatives conscientes de tromperie visant à rendre l’implication juive dans des mouvements politiques radicaux invisible, en plaçant un visage américain sur ce qui était en réalité en grande partie un mouvement juif (Liebman 1979, 527ff). Le Parti socialiste et le Parti communiste américain ont tous deux pris la peine d’avoir des gentils comme leaders manifestement en tête d’affiche, et le PCA a activement encouragé ses membres à prendre des noms sonnant non-juifs. (Ce phénomène s’est également produit en Pologne [voir ci-dessus] et en Union soviétique [voir p. 97].) Bien que représentant la moitié des membres du Parti socialiste et du PCA pendant certaines périodes [les Juifs], aucun des partis n’a jamais eu de Juifs comme candidats à la présidentielle et aucun Juif ne détenait de premières places dans le PCA après 1929. Les Gentils ont été amenés depuis de lointains endroits  et on leur a donné des postes de personnel très visibles dans les organisations  socialistes à dominante juive, à New York. La domination juive de ces organisations menait non inhabituellement que cela, les non-Juifs à le quitter, quand ils se rendaient compte que leur rôle était d’une vitrine [non-juive] dans une organisation fondamentalement juive.

Liebman (1979, 561) note que les radicaux de la Nouvelle-Gauche ont souvent pris la peine d’ignorer

Les questions juives entièrement. La Nouvelle Gauche ne mettait pas l’accent sur l’ethnicité et la religion dans

son idéologie tout en mettant l’accent sur les catégories sociales et les questions politiques telles que

la Guerre du Vietnam et la discrimination contre les Noirs, qui étaient des sujets de grande discorde pour

les Blancs non-Juifs, mais pour lesquels l’identité juive n’avait aucune incidence; de plus, ces questions ne menaçaient pas les intérêts de la classe moyenne juive, en particulier le sionisme.L’identité juive, bien qu’importante pour les participants, a été submergée publiquement. Et comme indiqué ci-dessus, lorsque la Nouvelle Gauche a commencé à adopter des positions incompatibles avec les intérêts juifs, les Juifs ont eu tendance à rompre leurs liens avec le mouvement.

Dans une remarquable illustration de l’invisibilité perçue des dynamiques de groupe de l’implication juive dans les mouvements politiques radicaux, Liebman (1979, 167) décrit les militants étudiants des années 1960 comme complètement inconscients que leurs actions

pourrait conduire à l’antisémitisme, comme les Juifs étaient surreprésentés parmi les activistes (Liebman montre qu’en réalité d’autres Juifs étaient préoccupés par le fait que leur les actions mèneraient à l’antisémitisme.) De leur point de vue, ils étaient avec succès engagés dans la dissimulation : Ils ont supposé que leur judaïté était complètement invisible pour le monde extérieur tout en conservant une grande importance subjective pour eux-mêmes. Au niveau théorique, c’est un cas classique d’auto-tromperie, considéré dans SAID (Ch. 8) comme une caractéristique essentielle de l’idéologie religieuse juive et des réactions à l’antisémitisme.

En l’occurrence, la tromperie semble avoir généralement échoué, si ce n’est pour la nouvelle gauche, au moins pour la vieille gauche. Il y avait un manque général de rapport entre les intellectuels radicaux juifs et les intellectuels non-juifs dans les organisations de la vieille gauche radicale (C. Liebman 1973, 158-159). Certains intellectuels gentils ont trouvé le mouvement attrayant en raison de sa domination juive, mais pour la plupart le fait que le milieu fut essentiellement juif était une barrière (Liebman 1979, 530ff). L’engagement juif de ces radicaux, leur désir de rester dans un milieu juif, et leurs attitudes négatives envers la culture gentile chrétienne les a empêchés d’être des recruteurs efficaces parmi la classe ouvrière gentile. Comme le père communiste de David Horowitz l’écrivit lors d’un voyage à travers le Colorado dans les années 1930, “j’ai le sentiment… que je suis dans un pays étranger. Et cela me frappe que si  nous n’apprenons pas de gens de ce pays si bien que nous ne ressentirons pas de cette façon, nous n’irons nulle part. J’ai peur que la plupart d’entre nous ne soient pas vraiment «patriotes», je veux dire profondément attaché au pays et au peuple. “De même, l’ancien communiste Sidney Hook (1987, 188) a noté que «c’était comme s’ils n’avaient pas de racines ou de connaissances de la société américaine qu’ils voulaient transformer. “Une situation similaire s’est produite en Pologne, où les efforts des communistes juifs les plus «dé-ethnicisés» ont été inhibés par les attitudes juives traditionnelles de supériorité et de sentiment d’éloignement envers la culture traditionnelle polonaise (Schatz 1991, 119).

Et une fois dans le parti, de nombreux non-Juifs ont été repoussés par son atmosphère très intellectuelle

et l’ont quitté. Comme prévu, sur la base de la théorie de l’identité sociale et sur l’hypothèse que le radicalisme était fondamentalement une forme de judaïsme laïque, il y a des indications d’une atmosphère anti-gentille au sein de ces organisations: “Il y avait aussi parmi les intellectuels juifs et les gauchistes un mélange d’hostilité et de supériorité envers les Gentils »(Liebman 1979, 534). Il y avait aussi une fracture ethnique entre les travailleurs Juifs et Noirs du Parti communiste, due au moins en partie à “une attitude missionnaire et condescendante” des organisateurs juifs

(Lyon 1982, 80).

 

 

Les rencontres entre Noirs et Juifs semblaient toujours impliquer que les Juifs cherchaient à “aider” les Noirs, à leur “enseigner”, à les “guider”. Beaucoup d’intellectuels Noirs ont mis fin à leur flirt avec le Parti communiste, rendus amers non seulement contre les communistes, mais contre les Juifs, qu’ils sentaient les avoir traité avec condescendance. “Comment peut-on attendre du nègre moyen de l’école publique qu’il comprenne les exigences du système capitaliste comme il s’applique à la fois aux Juifs et aux Gentils en Amérique. . .dès lors que les deux groupes agissent étrangement comme des Aryens hitlériens … quand ils sont confrontés à des gens de couleur ? », a demandé Langston Hughes, amer après une querelle avec des Juifs communistes. (Kaufman 1997, 110).

Ce sentiment de supériorité condescendante des radicaux juifs dans le mouvement des droits civiques a été identifié comme une source de la montée actuelle de l’antisémitisme chez les Afro-Américains.

 

CONCLUSION

 

Il est intéressant d’essayer de comprendre le sort ultime du judaïsme dans les situations où la société s’est organisée selon une idéologie politique  radicalement universaliste. En Union Soviétique, les Juifs “ont joué un rôle important et parfois décisif dans la direction des trois principaux partis socialistes ” y compris les bolcheviks (Pinkus 1988, 42, voir aussi Rothman & Lichter 1982; Shapiro 1961). Les Juifs ont “dominé” le premier Politburo de Lénine (Rapoport 1990, 30). (Lénine lui-même avait un grand-père maternel juif [Volkogonov 1995] et il est rapporté avoir dit qu'”un Russe intelligent est presque toujours un Juif ou quelqu’un avec du sang juif dans ses veines “[dans Pipes 1990, 352].) Les Juifs constituaient un

plus grand pourcentage d’autres partis révolutionnaires russes que ce qu’ils ont fait chez les Bolcheviks (Lindemann 1997, 425ff). En effet, il existe des preuves pour Le dualisme juif-gentil entre les bolcheviks et les menchéviks, plus internationaux, dont les rangs comprenaient un pourcentage beaucoup plus important de Juifs.

(Rappelons aussi l’internationalisme des bolcheviks juifs, voir ci-dessus.)

Néanmoins, les Juifs étaient représentés de manière proéminente en tant que leaders des bolcheviks.

et au sein du mouvement bolchevik “citant le nombre hallucinant de Juifs, ou leur pourcentage dans l’ensemble, celui-ci ne reconnaît pas certains facteurs clés si intangibles: l’assertivité et les compétences verbales souvent éblouissantes des bolcheviks juifs, leur énergie, et leur force de conviction “(p.429). Les bolcheviks juifs étaient aussi plus éduqués que les bolcheviks non juifs et plus susceptibles d’être polylglottes. (Comme noté dans le chapitre 1, les radicaux juifs américains étaient très intelligents, travailleurs, dévoués et prompts à monter l’ascenseur social – des traits qui sans aucun doute contribuèrent au succès de leurs organisations.) Quatre des sept grands dirigeants étaient des Juifs ethniques (sans compter Lénine, qui, comme le note Lindemann, était un quart juif et donc assez juif pour avoir été suspicieux dans l’Allemagne nazie; Lénine était largement considéré comme un Juif), tout comme environ un tiers des cinquante premiers.

De plus, Lindemann souligne que plusieurs des grandes personnalités non-juives du mouvement bolchevique, y compris Lénine, pourraient être qualifiés de “non-Juifs enjuivés” -“Un terme, libéré de ses connotations laides, [qui] pourrait être utilisé pour souligner un point souvent

négligé: Même en Russie, il y avait des non-Juifs,  Bolcheviks ou non, qui respectait les Juifs, les louait abondamment, les imitait, se souciait de

leur bien-être, et établissait des amitiés intimes ou des liaisons romantiques avec eux “(page 433). Par exemple, Lénine “a ouvertement et à plusieurs reprises loué le rôle de Juifs dans le mouvement révolutionnaire; il était l’un des plus catégoriques et réguliers dans le parti dans ses dénonciations des pogroms et de l’antisémitisme de manière générale. Après la révolution, il a renoncé à sa résistance antérieure au nationalisme juif, acceptant que sous la domination soviétique la nationalité juive puisse être légitime. Sur son lit de mort, Lénine a parlé avec tendresse du juif Menhevik Julius Martov, pour qui il avait toujours gardé une affection personnelle particulière malgré leurs différences idéologiques féroces. ”

Citant le travail important de Paul Johnson (1988), Lindemann note le rôle «primordial» de Trotsky dans la planification et la direction du soulèvement bolchevik et son rôle de «brillant chef militaire» dans l’établissement de l’Armée rouge comme force militaire (p.448). De plus, de nombreux traits de personnalité de Trotsky sont stéréotypiquement juifs: si l’on admet que l’antisémitisme était le plus puissamment motivé par l’angoisse et la peur, par opposition au mépris, alors la mesure dans laquelle Trotsky devient une source de préoccupation pour les antisémites est significative. Ici aussi, les mots de Johnson sont suggestifs: il écrit du «pouvoir démoniaque» de Trotsky – le même terme, révélateur, utilisé à plusieurs reprises par d’autres en référence à l’éloquence de Zinoviev ou à la cruauté d’Uritsky. La confiance en soi illimitée de Trotsky, son arrogance notoire et son sens de la supériorité étaient d’autres traits souvent associés aux Juifs. Il y eut des fantasmes à propos de Trotsky et d’autres bolcheviks, mais il y eut aussi des réalités autour desquelles les fantasmes grandissaient. (page 448)

Vaksberg (1994) a une présentation particulièrement intéressante. Il note, pour exemple, que dans un photomontage des dirigeants bolcheviques pris en 1920, 22 des 61 dirigeants étaient des juifs “, et la photo n’incluait pas Kaganovich, Pyatniksky, Goloshchekin, et beaucoup d’autres qui faisaient partie du cercle dirigeant, et dont la présence sur cette page de l’album aurait augmenté le pourcentage de Juifs de manière plus élevé encore»(p.20). En plus de la très grande surreprésentation des Juifs à ces niveaux, il y avait “une légion de femmes juives” parmi les non-Juifs.

Les dirigeants juifs (page 49), qui ont dû renforcer l’atmosphère juive haut niveau du gouvernement, étant donné que tout le monde, en particulier Staline, semble avoir été très conscient de l’origine ethnique. (Staline lui-même a fait de grands efforts pour décourager le mariage de sa fille avec un juif et désapprouver d’autres mariages juifs-gentils [Vaksberg 1994, 139].) Pour leur part, les antisémites accusèrent les Juifs d’avoir “implanté ceux de leur propre catégorie en tant qu’épouses et des maris comme personnalités influentes et officielles “(dans Kostyrchenko 1995, 272;

dans le texte). Ce point correspond bien à la description de Lindemann des gentils bolcheviques en tant que “non-Juifs judaïsés”.

Parmi les Russes gentils, il y avait une opinion répandue selon laquelle “tandis que tout le monde avait perdu quelque chose de la Révolution, les Juifs, et eux seuls, en avaient bénéficié»(Pipes 1993, 101), comme l’indique, par exemple, les efforts officiels du gouvernement soviet contre l’antisémitisme. Comme dans le cas de Pologne de l’après-Seconde Guerre mondiale , les Juifs étaient considérés comme des partisans dignes de confiance du régime en raison de leur très grand changement de leur statut, provoqué par la révolution (Vaksberg 1994, 60). En conséquence, la période postrevolutionnaire immédiate a été caractérisée par l’antisémitisme intense, comprenant de nombreux pogroms effectués par l’Armée blanche. Cependant, Staline “a décidé de détruire le” mythe “du rôle décisif des Juifs dans la planification, l’organisation et la réalisation de la révolution “et de souligner le rôle des Russes (Vaksberg 1994, 82). Tout comme le font les apologistes juifs modernes, Staline avait un intérêt à désaccentuer le rôle des Juifs dans la révolution, mais pour des raisons différentes.

 

Les Juifs étaient fortement surreprésentés parmi l’élite politique et culturelle en Union soviétique tout au long des années 1920 (Ginsberg 1993, 53; Horowitz 1993, 83; Pipes 1993, 112) et, en effet, dans l’ère des années 1950 des purges des Juifs de l’élite économique et culturelle (Kostyrchenko 1995). La thèse de Vaksberg (1994) regardant Staline impliquant qu’il était un antisémite très précoce,, mais que, en raison de la présence puissante des Juifs au sommet du gouvernement et d’autres domaines de la société soviétique ainsi que de la nécessité de faire appel aux gouvernements occidentaux, ses efforts pour chasser les Juifs des plus hauts niveaux du gouvernement s’accomplirent lentement, et il a été contraint de s’engager dans une tromperie considérable.

Ainsi, Staline a mélangé ses mesures contre les Juifs avec des expressions publiques de philosémitisme et y [dans ses mesure]  incluait souvent quelques non-Juifs pour masquer l’intention anti-juive. Par exemple, juste avant une série de procès dans lesquels 11 des 16 accusés étaient Juifs, il y a eu un procès largement médiatisé de deux non-Juifs accusés d’avoir été anti-sémitistes (page 77). Dans les procès des Juifs, aucune mention n’a été faite de l’origine juive, et, à une exception près, les défendeurs n’ont été mentionnés que par leurs pseudonymes  de partis (non-juifs) plutôt que par leurs noms juifs. Staline a continué à donner des honneurs et des récompenses aux artistes juifs pendant les années 1930,  même pendant qu’il supprimait les principaux dirigeants politiques juifs et les remplaçait par des gentils (voir aussi Rubenstein 1996, 272)

La campagne pour éliminer les Juifs des postes administratifs dans l’établissement culturel a commencé dès 1942, toujours accompagnée de prix et de distinctions d’éminents scientifiques et artistes juifs pour faire dévier les accusations d’antisémitisme. Un antisémitisme d’État forcené a vu le jour après la Seconde Guerre mondiale, complété par des quotas sur l’admission des Juifs dans les universités qui étaient plus sévères qu’au temps tsariste. Cependant, ce n’était pas seulement l’antisémitisme personnel de Staline qui était impliqué; plutôt, l’antisémitisme était motivé par des problématiques très traditionnelles sur les Juifs relatives à la domination économique et culturelle, et la loyauté.

Kostyrchenko (1995) montre que les Russes ethniques cherchant à déloger les Juifs des positions dominantes parmi l’élite soviétique étaient une source importante de pression sur Staline. Des purges d’élites juives  de manière disproportionnées ont été faites dans les domaine du journalisme, des arts, des départements académiques d’histoire, de pédagogie, de philosophie,

d’économie, de médecine et de psychiatrie, et des instituts de recherche scientifique dans tous les domaines

des sciences naturelles. Il y avait aussi des purges généralisées de Juifs au sommet des niveaux de gestion et d’ingénierie dans l’ensemble de l’économie. Les intellectuels juifs étaient caractérisés comme “cosmopolites sans racines” qui manquaient de sympathie pour la culture nationale russe, et ils ont été considérés comme déloyaux en raison de leur enthousiasme public pour Israël et de leurs liens étroits avec les Juifs américains.

Les Juifs étaient aussi très surreprésentés parmi les leaders des autres partis communistes.

gouvernements en Europe de l’Est ainsi que dans les révolutionnaires communistes mouvements en Allemagne et en Autriche de 1918 à 1923. Dans la courte gouvernement communiste en Hongrie en 1919, 95 pour cent des principaux Le gouvernement de Bela Kun était juif (Pipes 1993, 112). Ce gouvernement liquida énergiquement  les contre-révolutionnaires principalement gentils et la lutte qui s’ensuivit menée par l’amiral Horthy s’est traduite par l’exécution de la plupart de la direction juive du gouvernement communiste – une lutte avec des accents clairemant anti-sémites. De plus, des agents juifs au service de l’Union Soviétique foisonnaient dans les partis communistes occidentaux: “Même au sein des les factions les plus diverses souvent violemment opposées des partis communistes naissants à l’Ouest, des «Juifs étrangers, recevant des ordres de Moscou» devinrent une préoccupation brûlante. Il restait la plupart du temps tabou dans les réseaux socialistes de se référer ouvertement aux agents de Moscou comme

étant Juifs, mais l’implication était souvent de dire que ces Juifs étrangers détruisaient le socialisme occidental »(Lindemann 1997, 435-436).

Les Juifs ont ainsi atteint des positions de leader dans ces sociétés au début, mais

à long terme, l’antisémitisme en Union soviétique et dans d’autres sociétés communistes d’Europe de l’Est est devenu un phénomène bien connu et une importante cause politique parmi les Juifs américains (Sachar 1992, Woocher 1986). Comme nous avons vu, Staline a progressivement diminué le pouvoir des Juifs en Union soviétique, et l’antisémitisme était un facteur important dans le déclin des Juifs dans les positions de commandement dans les gouvernements communistes d’Europe de l’Est.

Les cas de la Hongrie et de la Pologne sont particulièrement intéressants. Compte tenu du rôle

des communistes juifs dans la Pologne d’après-guerre, il n’est pas surprenant qu’un mouvement antisémite se soit

développé et qu’il ait finalement enlevé à cette génération son pouvoir (voir Schatz 1991, 264ff). Après le discours de déstalinisation de Nikita Khrouchtchev de 1956, le parti s’est divisé en une section juive et anti-juive, avec la section anti-juive se plaignant du trop grand nombre de Juifs dans les postes supérieurs. De la bouche d’un chef de faction anti-juive, la prépondérance des Juifs “fait que les gens détestent les Juifs et les rendent méfiant à l’égard du parti. Les Juifs éloignent les gens du parti et de l’Union soviétique; les sentiments nationaux ont été offensés, et il est du devoir du parti de s’adapter aux exigences selon laquelle les Polonais, et non les Juifs, doivent occuper les premières places en Pologne ”

(in Schatz 1991, 268). Khrouchtchev lui-même a soutenu une nouvelle politique avec sa remarque “vous avez déjà trop d’Abramovitchs” (Schatz 1991, 272).

Même cette première étape des purges anti-juives fut accompagnée d’ incidents antisémites chez le peuple, ainsi que de demandes selon lesquelles les communistes Juifs qui avaient changé leurs noms pour baisser leur profil au sein du Parti se démasquent. À la suite de ces changements, plus de la moitié des Juifs polonais ont répondu à cela en émigrant en Israël entre 1956 et 1959.

L’antisémitisme a considérablement augmenté vers la fin des années 1960. Les Juifs

ont été progressivement rétrogradé dans leur statut et les communistes juifs ont été blâmés pour les malheurs de la Pologne. Les Protocoles des Sages de Sion ont largement circulé parmi les militants des partis, les étudiants et le personnel de l’armée. La force de sécurité, qui avait été dominé par les Juifs et avait mené la suppression du nationalisme polonais, était maintenant dominée par les Polonais qui considéraient les Juifs “comme un groupe ayant besoin de surveillance constante “(p.290). Juifs ont été retirés de postes importants dans le gouvernement, l’armée et les médias. Des fichiers élaborés ont été conservés sur les Juifs, y compris les crypto-juifs qui avaient changé de nom et adopté des identités extérieures non-juives. Comme les Juifs l’avaient fait plus tôt, le groupe anti-juif développa un tissu social qui  promouvait leurs propres personnes à travers le gouvernement et les médias. Les Juifs sont maintenant devenus des dissidents et des transfuges quand auparavant ils dominaient l’Etat.

 

Le “tremblement de terre” éclata finalement  en 1968 avec une campagne antisémite à la suite des effusions de joie parmi les Juifs lors la victoire d’Israël dans la guerre des Six Jours. La victoire d’Israël s’est produite malgré le soutien du bloc soviétique aux Arabes, et le président Gomulka a condamné la “cinquième colonne” juive dans le pays. De vastes purges de Juifs ont balayé le pays et la vie juive séculaire (par exemple, les magazines yiddishs et écoles juives, et camps de jour) a été essentiellement dissous. La haine envers les Juifs résultait clairement du rôle joué par les Juifs dans la Pologne d’après-guerre. Comme l’a décrit un intellectuel, les problèmes de la Pologne résultent essentiellement d’un conflit ethnique entre les Polonais et les Juifs dans lequel les Juifs ont été soutenus par les  Russes. Les problèmes étaient dus à “l’arrivée dans notre pays … de certains hommes politiques vêtus d’uniformes d’officiers, qui plus tard ont présumé que seuls – les Zambrowskis, les Radkiewiczes, les Bermans – avaient le droit à la direction, à un monopole sur ce qui était juste pour la nation polonaise. “La solution viendrait quand la “composition ethnique anormale” de la société aura été corrigée (in Schatz 1991, 306, 307).

Les Juifs restants, à la fois collectivement et comme  individus ont été isolés, calomniés, ostracisés, dégradés, menacés et

intimidés avec une intensité à couper le souffle et … avec malignité “(p.308).Beaucoup quittèrent la Pologne pour Israël, et tous ont été contraints de renoncer à leur citoyenneté polonaise. Ils laissèrent derrière eux seulement quelques milliers de Juifs surtout âgés.

Le cas de la Hongrie est tout à fait analogue à celui de la Pologne dans les origines du triomphe des Juifs communistes et dans leur éventuelle défaite par un mouvement antisémitiste. Malgré la preuve que Staline était un antisémite, il a installé des Juifs communistes comme leaders, dans ses efforts pour dominer la Hongrie après la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement était “complètement dominé” par les Juifs (Rothman et Lichter 1982,89), une perception commune chez les Hongrois (voir Irving 1981, 47ff).

“Les wags de Budapest ont expliqué la présence d’un non-Juif isolé au sein du parti sur la base qu’un «goy» était nécessaire pour allumer les lumières le Samedi “(Rothman & Lichter 1982, 89). Le Parti communiste hongrois, avec le soutien de l’armée rouge, a torturé, emprisonné, et exécuté les chefs de l’oppositition politique et d’autres dissidents, et efficacement exploité l’économie de la Hongrie

l’économie au service de l’Union Soviétique. Ils ont ainsi créé une situation similaire à celle en Pologne: les Juifs ont été installés par leurs maîtres russes comme la strate médium idéale entre une élite dirigeante étrangère exploitante et une population indigène sujette.

Les Juifs ont été considérés comme ayant façonné la révolution communiste et comme ayant

bénéficié le plus de la révolution. Les Juifs constituaient presque toute l’élite des partis, ont occupé les postes les plus élevés dans la police de sécurité, et ont dominé les positions de gestion dans toute l’économie. Non seulement les fonctionnaires et directeurs économiques juifs du Parti communiste étaient dominants économiquement, mais ils apparaissent aussi comme ayant eu un accès assez libre aux femelles gentilles travaillant pour eux, en partie à cause de la pauvreté dans laquelle la grande majorité de la population était tombée, et en partie à cause de politiques gouvernementales spécifiques visant à saper les mœurs sexuelles traditionnelles, par exemple en payant les femmes pour les enfants illégitimes (voir Irving 1981, 111). La domination bureaucratie communiste judéo-hongroise semble donc avoir eu des accents de domination sexuelle et

reproductive sur les Gentils dans laquelle les hommes juifs ont pu avoir un accès sexuel disproportionné auprès des femmes non juives.

Comme une indication du gouffre entre dominateur et dominé en Hongrie, un étudiant

a commenté: “Prenez l’Hongrie : Qui était l’ennemi? Pour Rakosi [le dirigeant juif

du Parti communiste hongrois] et son gang l’ennemi c’était nous, le peuple hongrois. Ils croyaient que les Hongrois étaient naturellement fascistes. C’était l’attitude des communistes juifs, le groupe de Moscou. Ils n’avaient rien d’autre que du mépris pour le peuple »(in Irving 1981, 146). Le commentaire illustre un thème de la question de loyauté discutée dans SAID (Ch. 2): la déloyauté juive envers le peuple

parmi lesquels ils ont vécu est souvent exacerbée par l’antisémitisme, qui est lié aux autres sources communes d’antisémitisme. De plus, l’origine ethnique a continué à être un facteur important dans la période post-révolutionnaire malgré son

insignifiance théorique. Quand les fonctionnaires juifs voulaient pénaliser un fermier qui a manqué à son quota, des gitans ont été envoyés pour spolier la propriété de l’agriculteur parce que d’autres citadins ne coopéreraient pas à la destruction de l’un de leurs congénères (Irving 1981, 132). Ici, les fonctionnaires du parti profitaient du même principe que Staline et d’autres dirigeants étrangers ont reconnu quand ils ont utilisé

les Juifs comme couche d’exploitation entre eux et une population autochtone soumise. Les ethnies étrangères sont relativement disposées à exploiter d’autres groupes. Ce n’est donc pas surprenant que le soulèvement hongrois de 1956 comprenne des éléments d’un

pogrom antisémite traditionnel, comme indiqué par les attitudes anti-juives chez les réfugiés de cette période. À cet égard, le soulèvement n’était pas sans rappeler de nombreux pogroms qui ont eu lieu dans les sociétés traditionnelles lorsque le pouvoir de l’élite dirigeante étrangère qui soutenait les Juifs a diminué (voir SAID, Ch. 2; PTSDA, Ch. 5).

Comme pour toutes les expériences de vie, l’idéologie universaliste de gauche et la structure politique peuvent ne pas atteindre les résultats souhaités par leurs partisans juifs. Sur la base des données présentées ici, l’échec éventuel du radicalisme politique à garantir les intérêts juifs a été un facteur primordial dans l’abandon chez les  Juifs des mouvements radicaux ou leur tentative de combiner le radicalisme à une identité juive manifeste et l’engagement envers des intérêts juifs. À long terme, il semblerait que les idéologies de l’universalisme en présence d’une cohésion de groupe continue et d’une identité peut ne pas être un mécanisme efficace de lutte contre l’antisémitisme.

Rétrospectivement, le plaidoyer juif de la structure sociale hautement collectiviste représenté par le socialisme et le communisme a été une mauvaise stratégie pour le judaïsme en tant que stratégie d’évolution de groupe. Le judaïsme et le socialisme bureaucratique et étatique ne sont pas évidemment incompatibles, et nous avons vu que les Juifs étaient en mesure de tenir une position politique et culturelle prédominante dans les sociétés socialistes, comme il l’avaient eu dans des sociétés plus individualistes. Cependant, la structure  très autoritaire, collectiviste

de ces sociétés se traduit également par une institutionnalisation très efficace de l’antisémitisme dans le cas où la prédominance juive dans la société, en dépit d’une grande partie de la dissimulation, vient à être considérée négativement.

De plus, la tendance de ces sociétés à développer une monoculture politique implique que le judaïsme ne peut survivre qu’en s’engageant dans un état semi-cryptique. Comme Horowitz (1993, 86) le note, “la vie juive est diminuée quand les oppositions créatrices du sacré et du profane, ou de l’Eglise et de l’Etat, sont vus comme devant céder à un ensemble supérieur de valeurs politiques. Les Juifs souffrent, leur nombre diminue et l’immigration devient une solution de survie lorsque l’Etat exige l’intégration dans un courant national majoritaire, un universel  religieux défini comme religion d’Etat ou d’une religion à état proche”. À long terme, l’individualisme radical chez les gentils et la fragmentation de la culture gentile offrent un environnement supérieur pour le judaïsme en tant que stratégie d’évolution du groupe, et c’est en effet une direction importante de l’activité actuelle intellectuelle et politique juive (voir chapitres 5-7).

À cet égard, il est intéressant de noter que de nombreux intellectuels juifs contemporains  néoconservateurs aux États-Unis ont rejeté les idéologies étatistes, collectivistes, en tant que conséquence directe de la reconnaissance que ces idéologies ont abouti à un antisémitisme d’Etat. En effet, les débuts du mouvement néoconservateur peuvent être retracés aux Procès de Moscou des années 1930 dans lesquels beaucoup de vieux bolcheviks juifs, y compris Trotsky, ont été reconnus coupables de trahison. Le résultat fut le développement des Intellectuels de New York, en tant que mouvement de gauche anti-stalinien, dont certaines parties ont progressivement évolué vers le néoconservatisme.

(voir chapitre 6). Le mouvement néoconservateur a été ardemment anti-communiste et s’est opposé aux quotas ethniques et aux politiques de discrimination positive aux États-Unis, politiques qui empêcheraient clairement la libre concurrence entre Juifs et Gentils. Une partie de l’attraction que les intellectuels juifs avaient pour le néoconservatisme s’expliquait par sa compatibilité avec le soutien à Israël à une époque où les pays du tiers monde, soutenus par la plupart des gauchistes américains, étaient fortement antisionistes (Rothman & Lichter 1982, 105). Beaucoup d’intellectuels néoconservateurs avaient été auparavant des ardents gauchistes, et la scission entre ces précédents alliés  a entraîné une intense rivalité intestine.

De même, il y avait une tendance à un point de vue libertaire et individualiste chez les intellectuels “conversos”, conséquence de l’antisémtisme, d’Etat et collectif pendant la période de l’Inquisition. Castro (1971, 327ff) insiste sur le courant libertaire, anarchiste, individualiste et anti-collectiviste du fil de pensée des conversos,  et l’attribue au fait que les Conversos étaient opprimés par un Etat anti-libertaire, collectiviste. Ces intellectuels, opprimés par la pureté des lois du sang et par l’Inquisition elle-même, a fait valoir que “Dieu n’a pas à distinguer entre un chrétien et un autre »(Castro 1971, 333).

Quand une expérience dans l’idéologie et la structure politique échoue, une autre l’expérience est lancée. Depuis les Lumières, le judaïsme n’a pas été  mouvement monolithique, unifié. Le judaïsme est une série d’expériences dans la vie, et depuis le siècle des Lumières, il ya eu une variété d’expérimentations juives de vie. Il y a clairement eu un grand nombre de désaccords entre Juifs sur la meilleure façon d’atteindre  leurs intérêts pendant cette période, et certainement les intérêts des radicaux juifs rentraient parfois en conflit avec les intérêts des Juifs riches (souvent leurs employeurs juifs [Levin 1977, 210]). La nature volontaire de l’association juive depuis le siècle des Lumières a entraîné le fractionnement relatif du judaïsme, avec des Juifs  attirés par différentes “expériences de vie juive”. En ce sens, le radicalisme juif doit être considéré comme l’une des solutions apportées au problème du développement d’un judaïsme viable dans la période postérieure aux Lumières, avec le sionisme, la néo-orthodoxie, le judaïsme conservateur, le judaïsme réformé, le néoconservatisme et le judaïsme en tant que religion civile. Dans le chapitre suivant, nous verrons que la psychanalyse a joué un rôle similaire parmi un grand nombre d’ intellectuels juifs.

 

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